Bibliomanie

Le cyberpunk et son futur réalisé au prisme due discours méta-cyberpunk de la décennie 2010
di , numero 54, dicembre 2022, Saggi e Studi, DOI

Le  <em>cyberpunk</em> et son futur réalisé au prisme due discours méta-<em>cyberpunk</em> de la décennie 2010
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Christophe Duret, Le cyberpunk et son futur réalisé au prisme due discours méta-cyberpunk de la décennie 2010, «Bibliomanie. Letterature, storiografie, semiotiche», 54, no. 2, dicembre 2022, doi:10.48276/issn.2280-8833.10277

1. Introduction
Le cyberpunk serait mort en 1995, affirment Arthur et Marilouise Kroker dans Hacking the Future: Stories for the Flesh-Eating 90’s, soit le jour de la sortie en salles du film Johnny Mnemonic, adaptation de la nouvelle éponyme de William Gibson. Pour eux, l’échec de cette œuvre s’explique par des changements culturels rapides, alors que les métaphores cyberpunk des années 1980 ne fonctionnent plus dans les années 1990 et que «la phase charismatique de la réalité numérique»1 n’est plus, cette dernière étant devenue banale depuis. Il est vrai qu’à partir des années 1990, le numérique s’est infiltré dans toutes les facettes de notre quotidien et qu’aujourd’hui, les technologies dépeintes dans le cyberpunk n’ont plus rien d’exotique aux yeux des lecteurs avec un recul de près de quatre décennies. Toutefois, la culture contemporaine n’en a pas fini avec lui et la rubrique nécrologique d’Arthur et Marilouise Kroker semble hâtive, car on constate au cours de la dernière décennie un engouement pour ce sous-genre de la science-fiction. Suivant Thomas Foster, cela pourrait tenir au fait qu’il fournit désormais un cadre populaire permettant de conceptualiser les nouvelles relations tissées par les contemporains avec les technologies numériques2. En d’autres termes, sa popularité résiderait dans le caractère réflexif de ses œuvres, dans leur qualité de prisme à travers lequel la société contemporaine, fortement marquée par les dispositifs numériques, se verrait en mesure, et de manière distanciée, de s’étudier elle-même.
Le présent article portera sur le cyberpunk de la décennie 2010, dont il décrira les spécificités vis-à-vis des productions antérieures. Parmi elles, une insistance particulière sera portée à son caractère réflexif, qui passe par un discours sur le discours cyberpunk, un discours en quelque sorte «méta-cyberpunk». Au sens large, il met à distance le cyberpunk pour en retravailler les postulats, les motifs et l’esthétique. Cette tendance s’incarne, notamment, dans l’adoption d’une perspective rétrofuturiste. Plus significativement, le discours méta-cyberpunk constitue un procédé de mise en coprésence du futur technologique promu par les œuvres cyberpunk et des effets des technologies numériques sur la société contemporaine, cette dernière étant appréhendée comme un futur cyberpunk réalisé. Cette mise en coprésence permet d’apprécier la distance entre les aspirations techno-optimistes du cyberpunk et l’émergence d’une société où le numérique fait désormais l’objet d’un discours sinon techno-pessimiste, du moins techno-sceptique. Afin d’illustrer le discours méta-cyberpunk actuel, une analyse du roman Toxoplasma, de Sabrina Calvo, sera proposée, au sein de laquelle il se marie avec le rétrofuturisme et l’uchronie pour donner lieu à une réflexion critique sur l’état technologique contemporain à l’aune des promesses cyberpunk brisées des années 1980.

2. Qu’est-ce que le cyberpunk?
Le terme «cyberpunk» apparaît en 1980 dans une nouvelle éponyme de Bruce Bethke, avant d’être popularisé par Gardner Dozois dans un article du Washington Post paru en 1984 afin de désigner une nouvelle vague d’auteurs de science-fiction dont William Gibson, Bruce Sterling, Rudy Rucker, Lewis Shiner et John Shirley sont les figures de proue. Parmi ses œuvres emblématiques figurent la trilogie romanesque Sprawl, de Gibson, la tétralogie Ware, de Rucker, les romans Schismatrix et Islands in the Net, de Sterling, Hardwired, de Walter Jon Williams, Snow Crash, de Neal Stephenson, et Synners, de Pat Cadigan.
Le cyberpunk propose une constellation de thèmes. Les technologies de l’information et de la communication (ci-après, «TIC»), l’intelligence artificielle, le téléchargement de l’esprit humain, la simulation, les prothèses artificielles et la bioingénierie – dont la convergence esquisse un horizon posthumain – y occupent une place prépondérante. Aux protagonistes cyberpunk s’ouvrent de nouveaux espaces. Non pas les confins de la Voie lactée ou de l’Univers de la hard fiction et du space opera, mais des espaces superposés au monde physique: ceux, virtuels, du cyberespace. Quant aux lieux familiers des lecteurs, le cyberpunk les dépeint sous une forme hyperbolique: les milieux urbains deviennent alors ubiquitaires, de véritables mégalopoles dans un monde globalisé caractérisé par la libre circulation des flux d’information, alors que dans un mouvement inverse de privatisation débridée et d’enclavement des réalités locales, le tissu social se compose d’une mosaïque de ghettos, d’arcologies, de quartiers résidentiels fermés et de stations orbitales.
Comme le résume bien Bruce Sterling, le cyberpunk combine des représentations de la vie des bas-fonds et de la haute technologie3 (Low-life/High-tech), lesquelles renvoient à la mise en tension des termes «cybernétiqu» et «punk» constitutifs du mot-valise proposé par Bethke. À cet effet, il existe deux modes de construction de mondes science-fictionnels, selon Carl D. Malmgren: l’extrapolation et la spéculation. L’extrapolation consiste à prendre pour point de départ l’état actuel du monde empirique et ses connaissances scientifiques afin de créer un monde futur qui en résulterait logiquement. Il s’agit d’un processus linéaire par lequel on effectue une projection du futur étape par étape, ancré dans la connaissance de la conjoncture du monde contemporain. La spéculation, quant à elle, implique un saut imaginatif et, donc, des écarts et des libertés prises par rapport au portrait que l’on se fait de cette même conjoncture. Les facteurs mis au jour dans ce dernier ne font donc pas nécessairement l’objet d’une projection linéaire4. Le cyberpunk fait cohabiter ces deux modes de construction de mondes dans la tension créatrice entre High-tech et Low-life. Ses auteurs extrapolent à partir d’un état donné de la science cybernétique et des TIC (High-tech) pour construire un futur logiquement envisageable tout en spéculant sur les formes d’organisation sociale qu’entraînerait un futur marqué par l’évolution technologique extrapolée (Low-life).
Le préfixe «cyber» renvoie à la science de la cybernétique née dans les années 1940 aux États-Unis, une pionnière dans le développement de l’informatique, de la robotique, de l’intelligence artificielle et des neurosciences Il s’agit d’une science du pilotage des dispositifs et des systèmes dont le bon fonctionnement repose sur la base de mécanismes de contrôle et de régulation, et ce, indifféremment de leur nature (machine, organisme vivant, écosystème, société, ville, entreprise, etc.). Dans le cyberpunk, l’emprunt à la cybernétique illustre d’abord l’explosion des TIC dans les années 1980, sur la base de laquelle se feront maintes extrapolations science-fictionnelles. Mais plus fondamentalement, il se traduit par une reconduction, dans la science-fiction, des présupposés ontologiques propres à cette science – une vision du monde axée sur l’information et la régulation –, de même que par l’importance accordée au couplage humain-machine, si prégnant dans le cyberpunk que l’on pourrait qualifier ce dernier de «jeu d’extrapolations mené dans un cadre fictionnel sur les devenirs possibles de l’être humain en route vers un horizon posthumain»5. Le terme «punk», quant à lui, réfère à un état d’esprit ou à un éthos «jeune, aguerri à la vie de rue, agressif, aliéné et en lutte contre l’Establishment»6. Il s’exprime dans un nouveau monde dense, urbain et confus où la population se voit dépourvue de toute possibilité d’exercer le moindre pouvoir7. Les personnages présentés sont des solitaires aliénés vivant dans les marges d’une société dystopique où le quotidien se voit en permanence bouleversé par des changements technologiques rapides, une sphère informationnelle ubiquitaire et des augmentations invasives du corps humain.

3. Le cyberpunk aujourd’hui
Le cyberpunk ne peut pas être réduit aux seules années 1980. Si Arthur et Marilouise Kroker ont été prompts à écrire sa notice nécrologique, plusieurs commentateurs éviteront d’annoncer comme eux sa mort prématurée et préfèreront parler de trois vagues cyberpunk successives: la première au début des années 1980, avec l’impulsion initiale donnée par William Gibson et consorts, la seconde, dans les années 1990, sous l’égide de Neal Stephenson, et la troisième, au lendemain de l’effondrement de la bulle internet, au début de la décennie 20008. D’autres opéreront une distinction entre cyberpunk et post-cyberpunk. Comme le cyberpunk, le post-cyberpunk, selon Lawrence Person, mobilise les mêmes techniques de construction de monde détaillant le quotidien de ses habitants, mais en lieu et place de marginaux, ses protagonistes sont davantage intégrés à la société, alors que les premiers, nomades par nature et condamnés à une mobilité perpétuelle, n’ont jamais réellement de domicile propre. Quant au futur proposé par le post-cyberpunk et à l’état technologique qui le caractérise, ils s’avèrent généralement moins dystopiques, bien que les technologies en question soient présentées sous forme d’infrastructures informatiques omniprésentes, qu’elles évoluent toujours aussi rapidement et qu’elles impactent aussi fortement l’existence de chacun9. Dans tous les cas, qu’il ait été agité par plusieurs vagues ou qu’il soit devenu « post-lui-même » en cours de route, il semble bien que le cyberpunk ne soit pas mort en 1995. Au contraire, la décennie 2010 est marquée par un nouvel engouement pour le cyberpunk, comme en témoignent les bases de données Internet Movie Database et The Cyberpunk Database. On constate en effet une production sans précédent d’œuvres réputées10 cyberpunk au cours de cette période. Sur les 412 films, séries télévisées, œuvres d’animation et jeux vidéo cyberpunk listés dans l’Internet Movie Database, un peu plus du tiers date de 2010 à 2019 (140 sur 412). Parmi les 1227 œuvres compilées dans The Cyberpunk Database, la proportion monte à 43%.

Tableau 1: Films et séries cyberpunk. Source: Internet Movie Database. Graphique de l’auteur.

Tableau 2: Œuvres cyberpunk. Source: The Cyberpunk Database. Graphique de l’auteur.

Au-delà de cette dimension quantitative, le cyberpunk actuel repose fortement sur l’expansion et l’adaptation d’œuvres et de mondes diégétiques cyberpunk ou proto-cyberpunk antérieurs, à l’instar de la série télévisée Altered Carbon, du jeu vidéo Cyberpunk 2077 et du film The Matrix Resurrections, parmi d’autres. Mais au-delà de la reprise de mondes préexistants, il se montre disert en matière de fictions originales, du roman The Peripheral et des films Anon, Mute et Upgrade, aux séries télévisées Caprica, Maniac et Upload, en passant par les jeux Cloudpunk, Ghostrunner et WATCH_DOGS.
À cette prolixité s’ajoute l’exacerbation des phénomènes de surveillance numérique dans le cadre de sociétés dépeintes le plus souvent comme dystopiques. Exacerbation, mais mutation, également, alors qu’apparaissent des dystopies sousveillancielles, ces dernières enregistrant les transformations récentes de la surveillance, qualifiée de «sousveillance» et caractérisée par le passage d’une perspective verticale (regard surplombant) à une perspective horizontale (indistinction du surveillant et du surveillé, tout le monde surveillant tout le monde), d’une surveillance exercée par le regard à une surveillance basée sur le calcul et les prédictions, et de la visibilité du surveillant à son invisibilité (opacité des algorithmes et du traitement informatique des données personnelles, par exemple)11. L’ambivalence des œuvres cyberpunk initiales, dans leur balancement entre techno-optimisme et techno-pessimisme, cède ici le pas à une attitude plus foncièrement techno-sceptique, voire technophobe. La série télévisée brésilienne Onisciente, par exemple, dépeint un São Paulo futuriste en proie à une dérive sécuritaire dans le cadre duquel une intelligence artificielle appelée Omniscient exerce une surveillance de tous les instants sur les citoyens, chacun d’entre eux étant suivi par un drone personnel chargé d’enregistrer ses moindres faits et gestes. Dans le roman The Circle, de Dave Eggers, cette fois, il est question de l’idéologie de la transparence promue par les géants du numérique dans la société du techno-thriller, ce qui conduit à l’adoption massive de caméras miniatures portatives et de dispositifs de traçage par l’ensemble de la population, dont les images et les données se voient déversées en temps réel sur les réseaux socionumériques, marquant la fin de l’intimité et de la vie privée.
L’inclination récente du cyberpunk à la dystopie surveillancielle découle du double caractère critique et réflexif de ses œuvres, lesquelles enregistrent les mutations sociales et technologiques de la conjoncture qui est la leur. Mais il faut préciser que ce regard critique se complexifie du fait que le cyberpunk ne se limite pas à témoigner de la conjoncture actuelle, puisqu’il porte en lui les projections ou anticipations du cyberpunk des générations antérieures, lesquelles cherchaient à dresser le portrait de ce qui pourrait être nôtre propre époque. On peut donc se demander si, dans une certaine mesure, on ne vit pas dans un futur en partie cyberpunk ou, pour le moins, un futur perçu comme tel, comme le suggèrent Graham J. Murphy et Sherryl Vint. Paradoxalement, selon eux, le courant cyberpunk initial semble à la fois daté et toujours pertinent en raison de l’image qu’il renvoie de la société d’aujourd’hui, puisque le néolibéralisme et les TIC y sont devenus aussi prégnants que dans les anticipations d’alors. Si les technologies proposées apparaissent désormais aussi peu avant-gardistes aux yeux des contemporains que des cassettes magnétiques 8-pistes, écrivent-ils,

«ce qui préoccupe le plus est le degré apparent d’obsolescence de la résistance cyberpunk. Dans les termes de Jameson, les gens sont “convaincus” par la “permanence” […] du capitalisme global : possiblement à un niveau tel que les histoires portant sur son triomphe planétaire ne nous apparaissent plus comme futuristes»12.

En somme, les craintes exprimées par les critiques socioéconomiques du cyberpunk se sont déjà réalisées et les inquiétudes du public, des médias et des politiciens quant à l’emprise croissante des géants du numérique – que Cédric Durand (2020) qualifie de «techno-féodalisme13» – ne sont pas sans évoquer le pouvoir irréfrénable des mégacorporations du futur gibsonien.
Qui plus est, certaines réflexions amorcées dans les années 1980 s’avèrent aujourd’hui particulière prégnantes, tant dans les médias grand public que dans les différentes disciplines scientifiques. On peut penser ici à la question du posthumain, centrale dans le Schimatrix de Sterling. On peut ajouter que les articles de vulgarisation scientifique et les chroniques techno ne cessent de promouvoir les avancées spectaculaires de la robotique, des dispositifs de réalité virtuelle, de l’intelligence artificielle et de la bioingénierie en les présentant comme un futur cyberpunk frappant déjà à nos portes. Enfin, l’actualité est traversée par nombre de révélations laissant entrevoir la généralisation et le raffinement de la surveillance numérique au sein de la société contemporaine, ce dont témoignent les révélations d’Edward Snowden sur le programme PRISM, le scandale Cambridge Analytica, la place croissante de Big data et de la captation systématique des données personnelles dans l’économie numérique, la mobilisation à grande échelle de réseaux de caméras de surveillance et de logiciels de reconnaissance faciale par les autorités, la prédiction criminelle, le crédit social chinois, et ainsi de suite.
Avec les avancées significatives des TIC au cours des dernières années et la généralisation de leurs usages, on comprend aisément un tel déplacement du futur proche anticipé à un futur proche réalisé, dans la foulée duquel, pour en témoigner, surviennent à partir des années 2000 des œuvres relevant du «cyberpunk non science-fictionnel»14. Selon Jaak Tomberg, les fictions qui en relèvent marquent un tournant réaliste et rendent compte de l’irruption du développement technologique (dispositifs de communication virtuelle, plateformes socionumériques, ingénierie génétique, prothèses) dans notre quotidien, de la virtualisation du capitalisme financiarisé et, plus généralement, d’une accélération du rythme des changements culturels, de sorte que les éléments spéculatifs tirés de la fiction cyberpunk semblent désormais déteindre sur notre monde15. Ainsi en est-il de la trilogie Bigend, de Gibson, alors que sont délaissées les habituelles extrapolations menant à la projection de futurs proches en faveur de la représentation de mondes et de la narration d’intrigues indiscernables de ceux proposés par les thrillers contemporains. Il est question, en d’autres termes, de cartographier le présent globalisé, ceci en utilisant le même procédé d’étrangisation16 utilisé par la science-fiction et en considérant le cyberpunk «moins comme un sous-genre de la science-fiction que comme une part du milieu culturel qui informerait notre existence contemporaine composée d’une réalité médiée par la technologie»17. C’est que, selon Graham J. Murphy et Lars Schmeink, «alors que les réalités d’aujourd’hui paraissent de plus en plus similaires aux futurs de la science-fiction, le cyberpunk parle de notre époque contemporaine et, en tant que formation culturelle, il domine notre paysage techno-numérique»18.
Afin de comprendre comment le cyberpunk en est venu à réinventer ses idées, tropes et pratiques initiales et à les recontextualiser plus récemment à la lumière des évolutions sociales et technologiques subséquentes, Foster le traite comme une formation culturelle. Selon lui, le cyberpunk a connu une transformation radicale lorsqu’il est passé d’une association lâche d’écrivains à un concept de plein droit. Au lieu de se réifier dans un ensemble de tropes, il a essaimé pour se décliner en une multiplicité de pratiques textuelles articulées historiquement entre elles et avec d’autres pratiques culturelles, sociales, économiques, historiques et politiques pour se doter d’une identité propre et apte à exister dans différents contextes sociaux et culturels. Toujours selon Foster, cela explique que le cyberpunk se soit étendu bien au-delà des frontières de la littérature de science-fiction, soit dans l’ensemble des médias de divertissement, fournissant au passage un cadre populaire permettant de conceptualiser les nouvelles relations tissées par les individus avec la technologie19.
En somme, le pouvoir attractif du cyberpunk provient de sa capacité de dissémination dans l’ensemble des pratiques culturelles, au-delà d’une littérature de science-fiction pour initiés et de la cyberculture, d’une part, et, d’autre part, de son aptitude à jeter un double éclairage socio- et techno- critique sur la société au sein de laquelle il circule. Il joue donc un rôle de prisme dans lequel se réfracte la conjoncture contemporaine, d’où il ressort la possibilité de mieux en appréhender les enjeux, qu’ils soient sociaux, politiques, économiques ou technologiques. Le cyberpunk des dix dernières années peut donc être vu comme la conscience inquiète et fascinée d’une conjoncture présente devenue elle-même cyberpunk. Et cette caractéristique s’inscrit plus largement dans une démarche «méta-cyberpunk».

4. Discours et esthétique méta-cyberpunk
On peut déceler dans le cyberpunk actuel une tendance à adopter une posture distanciée sur lui-même, une posture «méta-cyberpunk» conduisant à problématiser ses postulats initiaux, jouer sur ses conventions génériques ou retravailler son esthétique. Une telle posture se donne à voir dans des œuvres où cohabitent la création de mondes cyberpunk et un discours prenant pour objet le cyberpunk. L’une de ses manifestations est à trouver dans l’adoption d’une esthétique rétrofuturiste cyberpunk.

4.1. Rétrofuturisme cyberpunk
Une part conséquente de la culture du divertissement actuelle est fortement marquée par le rétro ou la nostalgie des années 1980, de même que les hommages et pastiches prenant cette décennie, ses œuvres et ses artefacts pour objets, comme en témoigne Stranger Things, série télévisée qui, non contente de situer son récit dans une Amérique reaganienne, multiplie les clins d’œil à l’endroit de ses cinéastes, à commencer par John Carpenter.
Le rétro, la nostalgie, l’hommage et le pastiche figurent au sein de plusieurs œuvres cyberpunk récentes. On peut penser au film interactif Black Mirror: Bandersnatch, dont l’intrigue se déroule en 1984 et accorde une large place aux thèmes de l’incertitude ontologique et du contrôle – abondamment traités dans les fictions proto-cyberpunk et cyberpunk –, mais aussi aux jeux vidéo d’aventure interactifs et aux livres-jeux de la collection Choose Your Own Adventure, populaires dans les années 1980. Dans le même esprit, l’épisode «San Junipero», de la série télévisée Black Mirror, se déroule dans une simulation photoréaliste des années 1980 habitée par des personnes décédées et visitée par des aînés nostalgiques venus y revivre leur jeunesse. Comme dans Bandersnatch, l’incertitude ontologique occupe une place conséquente dans l’intrigue.
Plus fondamentalement, plusieurs œuvres cyberpunk de la dernière décennie prennent les classiques du genre comme objet de leur discours en s’inscrivant dans une logique rétrofuturiste. Le rétrofuturisme désigne une «fascination ambivalente pour […] les lendemains d’hier»20. Lorsqu’on s’intéresse aux productions culturelles rétrofuturistes – pensons au film Sky Captain and the World of Tomorrow, au jeu vidéo Bioshock ou à la bande dessinée Mister X –, ce phénomène se rapporte à «un intérêt distancié pour les visions passées du futur»21. Fascination ambivalente, intérêt distancié: ces deux expressions soulignent le fossé séparant la perspective de l’auteur rétrofuturiste sur l’avenir et la vision passée du futur qu’il retravaille. Comme le soulignent Elizabeth Guffey et Kate C. Lemay, il est question d’une nostalgie collective pour des futurs non advenus; des futurs projetés par des auteurs de science-fiction optimistes dans leurs anticipations, marqués par une vision euphorique du Progrès, par exemple. Mais cette nostalgie est empreinte d’une certaine ironie, selon les deux autrices, que signalent la distance et l’ambivalence de toute production rétrofuturiste22. Parmi les exemples de fictions cyberpunk mobilisant une esthétique rétrofuturiste figurent les jeux Cloudpunk et The Last Night, dans lesquels la surabondance de couleurs néon, une forte pixellisation de l’image et la présence de voitures volantes et d’immeubles aux hauteurs vertigineuses convoquent non seulement les jeux vidéo des années 1980, mais également le Los Angeles futuriste du film Blade Runner.

4.2. Une problématisation des postulats des cyberpunk
Le cyberpunk de la dernière décennie adopte également une posture méta-cyberpunk conduisant à interroger ses biais initiaux. C’est le cas, entre autres, du roman Les Furtifs, d’Alain Damasio. S’inscrivant dans la littérature surveillancielle et relevant des registres de la dystopie et de l’utopie, ces œuvres cyberpunk questionnent les présupposés propres à cette formation culturelle, développant une critique plus nettement affirmée de la technologie que ne le font les écrivains cyberpunk de la première génération. Si ces derniers se sont lancés dans des jeux d’extrapolation et d’anticipation sur les effets sociaux des hautes technologies de leur époque et le devenir posthumain de l’humanité dans une oscillation entre techno-optimisme et techno-pessimisme, Damasio, pour sa part, peut être vu comme l’observateur techno-sceptique d’une conjoncture marquée par la réalisation de hautes technologies en germe dans les années 1980 et aujourd’hui pleinement inscrites dans la vie sociale de chacun. Suivant une posture méta-cyberpunk, ce techno-scepticisme l’amène à prendre à partie le cyberpunk. À cet effet, il affirme, dans une vidéo diffusée sur Socialter, qu’«[o]n en a fini avec le cyberpunk». Pour lui, ce dernier, assimilé à l’idéologie transhumaniste, était d’abord et avant tout une promesse technologique en vertu de laquelle

«le couplage de l’homme avec la technologie allait être émancipateur […] et c’était une promesse extraordinaire. Les techno-greffes, le couplage avec des processus d’intelligence artificielle, la connexion directe à la matrice, tout ça allait accroître notre liberté, allait nous rendre plus vivants, plus libres, plus vastes et allait produire tout un ensemble d’expériences très riches.»

Mais avec le recul, toujours selon lui,

«on se rend compte qu’au lieu de nous libérer, ça a accru très nettement notre taux d’auto-aliénation. On a développé un produit extraordinairement addictif, et le cyberpunk est peut-être un des sommets, des acmés des processus de servitude volontaire et d’auto-aliénation, sans besoin de chef, sans besoin de système, etc.»23

L’œuvre damasienne dépeint sous un jour dysphorique cet auto-enfermement dans une chrysalide de fibre optique qu’il nomme «techno-cocon» tout en esquissant sous la forme d’un «horizon désirable» – utopique – une manière alternative d’habiter le monde visant à s’en extraire.
Définir le cyberpunk en tant qu’idéologie transhumaniste, comme le fait Damasio, revient à faire fi de sa posture ambivalente à l’endroit de la technologie et de l’augmentation de l’être humain, réduisant cette formation culturelle à un florilège de discours techno-optimistes. Il y serait donc question, dans cette optique, de l’expression culturelle d’une cybernétique débridée, exempte de sa contrepartie punk. Toutefois, au-delà de cette définition quelque peu problématique, les propos de Damasio confèrent aux discours cyberpunk les qualités d’une prophétie autoréalisatrice: «Le cyberpunk, affirme-t-il, a tellement formaté les imaginaires qu’il est advenu»24. On peut convenir, en effet, qu’en tant que composantes de l’imaginaire social, les mondes cyberpunk inspirent des programmes de recherche, des plans d’affaires ou des moda­lités d’organisation du social. Après tout, la science-fiction recrute une part de son lectorat chez les scientifiques, les ingénieurs et les chefs d’entreprise du milieu de la haute technologie. Un tweet d’Elon Musk illustre bien que ses projets puisent pour partie dans l’imaginaire cyberpunk. Recrutant pour Neuralink — une entreprise spécialisée dans l’ingénierie neurale visant à développer des interfaces directes entre le cerveau et les systèmes informatiques —, le célèbre entrepreneur en réac­tive l’un des principaux tropes, l’augmentation technologique de l’être humain par la technologie et, plus précisément, l’augmentation des capacités humaines par son cou­plage avec l’intelligence artificielle:

«S’il-vous-plaît, veuillez envisager la possibilité de travailler chez Neuralink! À court-terme : résoudre le problème des blessures au cerveau/à la colonne vertébrale. À long-terme : [réaliser la] symbiose humain/intelligence artificielle. Cette dernière [tâche] sera importante au niveau de l’espèce.»25

Puis il relance son annonce initiale avec un «Ça fait bizarre d’aider à faire en sorte que Cyberpunk [2077]26 devienne (dans une bonne version, je l’espère) réel.»27 Ainsi, le caractère cyberpunk des technologies de Neuralink n’échappe pas à Musk, qui vise en quelque sorte à les faire passer de la fiction à la réalité. Les influences croisées entre le cyberpunk, les discours techniciens ou scientifiques et les réalisations technologiques sont, bien entendu, autrement plus complexes que ce qu’illustre le tweet de Musk ou que ce que suggère la citation de Damasio, comme en témoignent, parmi d’autres, les travaux de Tim Jordan28 et de Karin Harrasser29. Ceci étant dit, Damasio ne se contente pas de critiquer les effets délétères de la technologie dans ses fictions, il propose dans le même souffle une appréciation négative de la conjoncture actuelle vue en tant qu’imaginaire cyberpunk réalisé. Dès lors, sont dépeints des mondes cyberpunk qu’il s’agit de dépasser, et ce dépassement pourrait prendre la forme du «zoo-punk», un courant mu par le «renouement certainement anarchique, chaotique, bordélique, avec ces forces du vivant, en nous et hors de nous», car

«[c]’est le couplage avec le vivant qui nous rendra plus vivants, et non le couplage avec la machine. Avec l’anthropocène, deux choix sont possibles. Soit on établit un lien nouveau entre l’homme et la machine et on tombe dans le cyberpunk et le transhumanisme, cette humanité supposément augmentée. Soit on pense que la voie de sortie sera le zoo-punk […] avec un renouvellement du vivant et un tissage extérieur avec l’animal, le végétal et la nature»30.

Le renouement du vivant avec le vivant revient ici à interroger les présupposés cyberpunk à l’intérieur d’un espace fictionnel dépeint comme un monde cyberpunk réalisé, suivant une posture méta-cyberpunk. Un monde dans lequel l’omniprésence du numérique est mortifère.
Les œuvres de Damasio ne sont pas les seules de la décennie 2010 à interroger la société contemporaine à la lumière des présupposés cyberpunk. C’est aussi le cas de la franchise vidéoludique WATCH_DOGS, d’Ubisoft Montréal et Ubisoft Toronto, entre autres. Comme le souligne David Le Breton, depuis l’avènement de la cybernétique, il règne au cœur de l’imaginaire technoscientifique un dualisme en vertu duquel le corps se voit assimilé à une entité obsolète, dénigrée, qu’il convient de dépasser, et l’esprit, à une somme d’informations transférables sur des supports artificiels. Nombreux sont, selon lui, les classiques du cyberpunk nourris par un tel imaginaire. Ils mettent en scène l’estompement, l’ablation ou la dissolution de la chair au seul profit de l’esprit appelé à migrer vers des mondes de pure simulation. Dans cet imaginaire, l’individu quitte alors les limites de son corps obsolète, devenu «surnuméraire»31. La sensation vécue lors de la sortie technologiquement assistée de l’esprit hors du corps est dépeinte sous les traits de l’ivresse. Case, par exemple, le protagoniste du roman Neuromancer de William Gibson, qualifie de «trip d’adrénaline» l’expérience ressentie lorsqu’il projette «sa conscience désincarnée au sein de l’hallucination consensuelle qu’était la matrice»32, c’est-à-dire le cyberespace. Elle s’oppose au plaisir du corps, qualifié de «viande». Ne pouvant plus vivre son «exultation désincarnée» dans la matrice, le personnage est «tombé dans la prison de sa propre chair»33. WATCH_DOGS LEGION, le troisième volet de la franchise d’Ubisoft, reconduit ce mépris cyberpunk de la «viande», mais pour l’exacerber au point de le rendre insoutenable. Le joueur, en effet, met au jour un trafic lucratif dans le cadre duquel des migrants sont enlevés, dépouillés de leurs organes (vendus ensuite à la pièce) et brûlés après usage dans un incinérateur à déchets. À cette dépréciation du corps répond en écho la problématisation du motif de la numérisation de l’esprit humain – présent non seulement dans le cyberpunk34, mais dans les discours transhumanistes35 également Au premier regard, la libération des contingences et des limitations du corps offerte par cette technologie crée un sentiment d’ivresse aux yeux du joueur, alors que le transfert de la conscience sur un support numérique s’accompagne de capacités posthumaines telles que l’omniprésence par la téléprésence et l’omni­science grâce à un accès illimité aux dispositifs de surveillance qui émaillent Londres, la ville où se déroule le jeu. Toutefois, ce dernier expose rapidement les limites d’une condition immatérielle, désincarnée, et le caractère dysphorique de la numérisation point rapidement lorsqu’il apparaît qu’elle donne lieu moins à un posthumain qu’à une forme d’inhumanité, soit à des intelligences artificielles dépourvues d’empathie et traversées de pulsions homicidaires36, créations d’une chercheuse imprégnée d’un fort sentiment d’hubris. Cette mise à distance du biais dualiste du cyberpunk intervient à une époque où se multiplient les initiatives devant mener à la numérisation du connectome humain dans l’espoir de simuler un jour le cerveau après avoir déjà réalisé une carte complète ou partielle du réseau neuronal d’un ver c. elegans, d’un rat ou d’un drosophile37.

5. Le discours méta-cyberpunk de Toxoplasma
Aux différentes analyses proposées jusqu’ici, il convient d’ajouter celle du roman Toxoplasma de l’écrivaine française Sabrina Calvo, paru en 2017. Cette œuvre, en effet, mobilise l’ensemble des formes du discours méta-cyberpunk mises en évidence.
Toxoplasma dépeint un monde marqué par une succession de crises et de catastrophes. Les marchés financiers se sont effondrés, les guerres civiles font rage en Europe, un Mur érigé par le président Trump sépare les États-Unis du Québec, les réserves d’eau du Nunavut sont contaminées, le constructeur automobile GM fait campagne pour obtenir un poste au Sénat américain, des entreprises commanditent désormais les villes, l’internet a été détruit et l’inventeur du web, Tim Berners-Lee, est incarcéré à la suite d’un procès inique. Le roman se déroule dans un Montréal post-printemps érable38 marqué par l’insurrection et l’instauration d’une Commune anarchiste. La métropole québécoise résiste contre des forces fédérales en attente de la reprendre militairement au nom du Roy, figure allusive d’un régime autoritaire. Dans un tel cadre sont narrées les péripéties de Nikki Chanson, l’employée d’un club vidéo impliquée malgré elle dans une conspiration digne d’un techno-thriller à la William Gibson où, dans une atmosphère paranoïaque de fin du monde, sont convoqués le projet MK-Ultra de la CIA et ses recherches secrètes sur le contrôle de l’esprit humain, un mythe (fictif) attribué aux Premières nations portant sur l’existence d’une forêt magique existant dans un plan d’existence parallèle au monde physique et les machinations des mégacorporations. Dans sa quête visant à dévoiler une vaste conspiration, Nikki est aidée par Kim et Mei, pirates informatiques et réminiscences des «cowboys des consoles» du cyberpunk américain des années 1980.
La posture méta-cyberpunk de Toxoplasma est multiforme. En surface, elle s’exprime à travers des références intertextuelles à la production romanesque de Gibson. Par exemple, lorsque Mei demande à Kim: «c’est pas toi qui crois que des dieux communiquent avec nous à travers la Grille?», cette dernière lui réplique: «c’est pas si con, t’as lu Gibson, non? Il parle de Loas39 dans la matrice40 ça fait du sens»41, en référence au roman Count Zero. Et plus loin, dans une boutique de matériel informatique, Mei fantasme à l’idée de se bricoler un Ono-Sendai, un modèle d’ordinateur qui n’existe que dans la trilogie Sprawl, du même Gibson. Les références intertextuelles s’accompagnent aussi d’une parodie des motifs cyberpunk. Le détective dur-à-cuire emprunté au film noir par le cyberpunk, par exemple, devient une détective privée velléitaire chargée de retrouver les animaux domestiques égarés (Nikki), et les guerres entre mégacorporations sont incarnées par la lutte commerciale historique entre Betamax et VHS.
La posture méta-cyberpunk se complexifie lorsqu’elle est rapprochée des exercices uchronique et rétrofuturiste du roman. Il n’est pas question, ici, d’un récit d’anticipation qui serait situé dans un futur proche, contrairement à ce que proposent nombre de dystopies et de classiques du cyberpunk, mais bien d’une uchronie. Ce terme, forgé à partir du privatif grec οὐ et de χρόνος, «temps», signifiant étymologiquement «en aucun temps», désigne, au sens courant, une «utopie appliquée à l’histoire; histoire refaite logiquement telle qu’elle aurait pu être»42. On parle aussi «d’histoire contrefactuelle», dans la mesure où l’on propose une réflexion sur les potentialités non actualisées de l’histoire, suite à une liberté volontairement prise avec les événements historiques effectivement advenus. L’uchronie se «définit essentiellement en fonction d’une bifurcation historique»43 découlant «obligatoirement d’un événement fondateur, d’une altération de l’Histoire»44. Il y a donc là l’idée d’une «paraspective» historique (du grec παρά, «à côté de», et du latin specere «regarder») mise en récit et, donc, d’un jeu de l’esprit portant sur les potentialités non actualisées de l’histoire comparable à celui auquel se prête l’utopiste lorsqu’il projette mentalement des «possibles latéraux à la réalité»45. Parmi les exemples célèbres d’uchronies figure The Man in the High Castle, de Philip K. Dick, dont l’intrigue se déroule dans une Amérique occupée par les forces de l’Axe après la défaite des Alliés lors de la Seconde Guerre mondiale.
Dans Toxoplasma, le point de divergence historique est la modification de l’issue de la guerre des formats entre les fabricants de magnétoscopes, dans les années 1980, qui s’est soldée, dans le récit, par la victoire commerciale de Betamax et la défaite de VHS, suggérant que le présent de l’œuvre, le milieu de la décennie 2010, évolue en parallèle de celui du lecteur depuis lors. L’exercice d’exploration des possibles historiques non actualisés force la comparaison entre la conjoncture de l’œuvre et la nôtre, d’où il ressort non seulement une mise en garde quant aux aspects problématiques présents dans la seconde et exacerbées dans la première (privatisation, sectarisme, crise environnementale, émergence de régimes autoritaires…), mais aussi la possibilité d’y lire un discours méta-cyberpunk.
Le présent alternatif de Toxoplasma semble figé dans les années 1980. Au premier regard, une nostalgie pour cette époque, sa culture de divertissement et ses promesses technologiques baigne le roman de Calvo. Toutefois, elle se voit rapidement problématisée, comme en témoigne Nikki lorsqu’elle se rappelle à elle-même que «nous ne sommes plus en 1989, le monde n’était pas meilleur, tu n’avais pas plus de libertés»46. Dans un monde en crise, aux relents apocalyptiques, vivre dans le passé, c’est échapper à la noirceur ambiante, mais cette nostalgie, affirme Nikki, est un luxe, et seul «le système d’avant avait rendu possible la rétro-vie, le fétichisme d’un passé idéalisé. L’acte de vivre éternellement dans un monde imaginaire, révolu, entretenu par le biais d’artefacts nostalgiques»47. Cette problématisation du sentiment nostalgique devient plus proprement méta-cyberpunk lorsque l’animateur d’une radio clandestine de la Commune se penche à la fois sur la tendance du cyberpunk à se décliner en produits dérivés48 et celle des habitants de la Commune à se complaire dans un monde cyberpunk rétro qui en dessert les aspirations utopiques:

«PlasticPunk, NeonPunk, VideoPunk, ArcadePunk, RadPunk, VHSPunk, voilà le monde dans lequel on vit ici, dans cette putain de Montréal qui se complaît dans le passé, faute d’outils. On nous dit que les années 80 est le mode par défaut mais ici, dans le cyberpunk tropical de nos utopies, je me rends compte que nous avons relégué le monde au profit d’une idée périmée. Que nos révolutions sont des échos d’une société de consommation que nous regrettons»49.

Le figement de l’univers de Toxoplasma traduit donc moins un sentiment de nostalgie qui imprègnerait l’œuvre que l’instauration d’une distance critique par le biais du rétrofuturisme, signalée par la mise en scène d’un état technologique issu des années 1980 et la revisite des discours de l’époque sur la technologie, tant au sein de la cyberculture50 que du cyberpunk. En effet, dans la Commune de Montréal, même s’il est question d’algorithmes courant sur les réseaux informatiques et d’une compagnie spécialisée dans la domotique, technologies numériques très actuelles, les films se visionnent sur magnétoscope et les hackers bricolent leurs ordinateurs à partir de pièces de vidéotex et de claviers Commodore à l’aide desquels ils accèdent à des bulletins électroniques51, ces ancêtres des réseaux socionumériques, pour échanger des messages entre eux. Mais le rétrofuturisme réside surtout dans le fait qu’il retravaille la cyberculture (clins d’œil aux métaphores surannées telles que «l’autoroute de l’information», qualifiée ici de «route nationale virtuelle»52), de la culture geek (obsession de la protagoniste pour les films S-F de série B des années 1980) et, surtout, de l’éthos punk incarné par l’idéologie hacker, prise à bras le corps par les premiers auteurs du cyberpunk et chargée de discours eutopiques assimilant les TIC à des outils d’émancipation face aux politiques néolibérales et aux entreprises transnationales. Calvo recontextualise cet éthos et ses aspirations eutopiques dans un monde dysphorique traversé par des crises en série et en proie à des dérives autocratiques; un monde que les hackers n’ont pas été en mesure de prévenir malgré leur foi envers le pouvoir libérateur de l’informatique.
En conformité avec les classiques du cyberpunk, l’univers rétrofuturiste de Toxoplasma oppose la lutte de pirates informatiques – incarnés par Kim, la compagne de Nikki, et ses amis – contre des «politiques d’oppression cybernétique»53 et le pouvoir des mégacorporations. Si l’internet, porteur des idéaux hackers lors de son émergence, a été mis à bas et remplacé par la «Grille» – «un réseau réservé à l’élite, aux militaires, aux chercheurs, […] où subsistent serveurs privés, bases de données, simples cabanes en lignes de codes qu’elles explorent, pillent ou squattent»54 –, qui n’est pas sans rappeler le cyberespace gibsonien, un nouvel espace de liberté est né autour du Trophonion, un réseau numérique alternatif permettant de «siphonner les bases de données privées du nouvel ordre mondial»; un réseau né en Islande, cette «île libertaire» désignée comme une «terre promise»55. Toutefois, les idéaux associés aux technologies numériques et mis en exergue par le cyberpunk sont mis à mal, car

«[a]ujourd’hui, tout le monde a abandonné l’idée d’une connaissance partagée, accessible 24/24. Nous vivons dans un monde en péril, déconnecté. À part pour les coureurs [nom donné aux hackers dans le roman], qui sont les seuls à pouvoir décrypter les arcanes de la Grille, cette vie est une vie redevenue analogique.»56

On peut lire dans ce constat sinon une certaine désillusion, du moins un certain scepticisme quant aux promesses apportées par les réseaux de communication numérique de créer du lien social et de diffuser le savoir au bénéfice de tous. Car dans l’univers de Toxoplasma comme sur les plateformes socionumériques de notre monde référentiel – qu’une part considérable de la recherche identifie, alors qu’elles se balkanisent et enferment leurs usagers dans des bulles de filtrage57, comme un facteur clef dans la radicalisation et la diffusion de la désinformation et des théories conspirationnistes58 –, dont il est l’analogon, le vide laissé par l’abandon de ce projet d’une connaissance partagée a cédé la place à la diffusion des élucubrations les plus invraisemblables au sein d’une mosaïque composée de micro-mondes fermés, des espaces fragmentés, frappés par la paranoïa ou le sectarisme. En effet, on retrouve ici une «communauté pseudo-chrétienne instrumentalisant la femme et refusant toute ouverture des frontières[…] avanç[ant] d’obscures théories économico-théologiques mêlant avènement céleste et rétablissement du marché libre»59, et là, la renaissance de

«toutes les sectes possibles et imaginables qui sortent du bois comme des blaireaux, les soldats du Graal, même cette putain de sciento qui revient s’occuper des pauvres. Et dans la ville aux cent clochers60, les faux évangélistes se sont emparés du motif de la cité céleste pour décrire l’état de grâce»61.

À cela s’ajoute le pullulement des théories du complot signalées dans la Commune par la présence de slogans anti-chemtrails et de discours dans lesquels on accuse le gouvernement d’empoisonner les abeilles et de subventionner des corporations secrètes qui, désormais, ont pris le contrôle de la vie quotidienne des habitants alors qu’elles ont pour objectif de «remplacer la nature par du silicate»62, et où l’on affirme que l’eau est additionnée de «produits dangereux, placés là pour nous endormir – nous rendre faciles à pénétrer […] [et] que des extraterrestres «organis[e]nt la Commune pour tester la résilience de l’espèce humaine, une sorte de test ultime face à l’autorité»63. Ici, c’est le futur cyberpunk réalisé qui est pris à partie par le discours rétrofuturiste de Calvo, et donc la conjoncture actuelle.
La désillusion qui en ressort s’accompagne d’une certaine dérision, également, alors que les discours techno-optimistes qui ont accompagné l’émergence du numérique sont repris par Mei, une hacker, et emballés dans un imaginaire invraisemblable. Cette dernière voit la Grille comme un monde collectif, un rêve tissé par des chats interconnectés: «En nous refilant leur parasite [le Toxoplasma gondii], affirme-t-elle, les chats nous donnent ce qu’il faut pour avoir accès à leur espace collectif, et nous, par le biais de nos programmes, on y aménage des lieux d’échange, de stockage»64. Cette théorie fait écho aux propos de plusieurs commentateurs de l’internet et du web dans les années 1990, à une époque où ces dispositifs étaient encore loin d’atteindre une masse critique d’usagers. Ils les voyaient comme une entité collective pensante, un esprit interindividuel dont rendent compte les concepts d’intelligence connective, émergeante ou collective, respectivement proposés par Derrick de Kerckhove, Steven Johnson et Pierre Lévy. L’hypothèse de Mei signale le caractère ironique du rétrofuturisme pris en charge par le roman. Ici, la dérision frappant les prophéties technologiques des thuriféraires des réseaux numériques, celles-là même qui les assimilent à un «village global»65 ou à une «noosphère»66 (Teilhard de Chardin, 1956), côtoie la désillusion, alors que la réalité du roman témoigne bien davantage d’un morcellement de la société que d’une interconnexion généralisée, car, en effet, sous les coups du sectarisme et du conspirationnisme, le monde entier semble succomber à la «mode des micro-guerres civiles»67.

6. Conclusion Bien loin de l’essoufflement ou du figement dans un re-travail excessif de motifs usés, le cyberpunk a su se renouveler au fil des décennies et susciter un regain d’intérêt auprès des lecteurs, des joueurs, des téléspectateurs et des cinéphiles. Ce qui fascine ces derniers pourrait bien être son caractère prophétique, alors que, momentanément assimilé à Cassandre, il a su décrire un futur dysphorique apparaissant désormais comme le présent. Il faut dire qu’à une époque où les ultra-riches se lancent dans une course au tourisme spatial, où une interface neurale permet à un macaque de jouer au jeu vidéo Pong par la seule force de son esprit, où le PDG de Facebook annonce en grande pompe le Métavers à venir, où la guerre se déroule simultanément sur les champs de bataille et dans le cyberespace, où les premiers robots entièrement organiques créés sur la base d’une simulation préalable s’avèrent désormais aptes à se reproduire et où, enfin, les initiatives devant mener à la numérisation du connectome humain se multiplient dans l’espoir de simuler un jour le cerveau, il est difficile de ne pas contempler notre époque à l’aune des classiques littéraires du cyberpunk sans un certain étonnement ni l’impression de vivre dans un futur science-fictionnel déjà réalisé. Toutefois, loin de l’anticipation du monde de demain par le cyberpunk d’antan – exercice bien anecdotique, du reste – il a été question, dans cet article, de la capacité du cyberpunk actuel, par le biais de l’anticipation, de l’uchronie ou du rétrofuturisme, à mettre en exergue la défamiliarisante étrangeté du présent, pour paraphraser Darko Suvin68, en le vêtant des habits du futur immédiat, des «lendemains d’hier»69 ou des présents non advenus. Ceci, en devenant moins un sous-genre de la science-fiction qu’une formation culturelle apte non seulement à étudier la conjoncture dont elle est le produit – à en dresser la carte cognitive70 –, mais également à s’étudier elle-même étudiant cette conjoncture en adoptant une posture méta-cyberpunk.

Note

  1. Arthur Kroker et Marilouise Kroker, Hacking the Future: Stories for the Flesh-Eating 90s, New York, St. Martins Press, 1996, p. 50.
  2. Thomas Foster, The Souls of Cyberfolk: Posthumanism as Vernacular Theory, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2005.
  3. Bruce Sterling, Preface, in Burning Chrome, Westminster, Arbor House, 1986.
  4. Carl D. Malmgren, Worlds Apart: A Theory of Science Fiction, in Arno Heller, Walter Höbling et Waldemar Zacharasiewicz (ed.) Utopian Thought in American Literature: Untersuchungen zur literarischen Utopia und Dystopie in den USA, Tübingen, Gunter Narr, 1988.
  5. Christophe Duret, L’habiter posthumain entre inversion et éversion dans la franchise vidéoludique WATCH_DOGS, in “Revista 2i: Estudos de Identidade e Intermedialidade“, vol. 2, no 2, 2020, p. 40.
  6. Peter Nicholls, Cyberpunk, in Peter Nicholls, John Clute et David Langford (ed.) Encyclopedia of Science Fiction, para 2, consulté le 9 octobre 2022.
  7. John Clute, Science Fiction from 1980 to the Present, in Edward James et Farah Mendlesohn (ed.) The Cambridge Companion to Science Fiction, Cambridge, Cambridge University Press, 2003.
  8. Stacy Gillis, The (Post)Feminist Politics of Cyberpunk, in “Gothic Studies”, vol. 9, no 27-19.
  9. Lawrence Person, Notes Toward a Postcyberpunk Manifesto, in “Slashdot”, 1999, consulté le 11 octobre 2022.
  10. «Réputées», car les critères de sélection des œuvres ne sont pas précisés et l’exercice ne prétend ni à la scientificité ni à la systématicité.
  11. Steve Mann, Sousveillance, 2002, consulté le 11 octobre 2022; Dominique Quessada, De la sousveillance : La surveillance globale, un nouveau mode de gouvernementalité, in “Multitudes”, no 40, 2010, p. 54-59.
  12. Graham J. Murphy et Sherryl Vint, Introduction: The Sea Change(s) of Cyberpunk, in Graham J. Murphy et Sherryl Vint (ed.) Beyond Cyberpunk: New Critical Perspectives, New York et Londres, Routledge, 2010, p. XVII.
  13. Expression qu’il tire d’ailleurs du manuel de jeu de rôle sur table de 1990 GURPS Cyberpunk, de Loyd Blankenship, et qui désigne les nouveaux liens de servage tissés entre les grandes entreprises du futur et leurs salariés. Cédric Durand, Techno-féodalisme : Critique de l’économie numérique, Paris, Zones, 2020.
  14. Sheryl Vint, Cyberwar: The Convergence of Virtual and Material Battlefields in Cyberpunk Cinema, in Graham J. Murphy et Lars Schmeink (ed.) Cyberpunk and Visual Culture, New York et Londres, Routledge, p. 273.
  15. Jaak Tomberg, Non-SF Cyberpunk, in Anna McFarlane, Graham J. Murphy et Lars Schmeink (ed.) The Routledge Companion To Cyberpunk Culture, New York et Londres, Routledge, 2020, p. 81-90.
  16. Darko Suvin, Radical Rhapsody and Romantic Recoil in the Age of Anticipation: A Chapter in the History of SF, in “Science Fiction Studies”, vol. 1, no 4, 1974, p. 255–269.
  17. S. Vint, Cyberwar: The Convergence of Virtual and Material Battlefields in Cyberpunk Cinema, cit. p. 266-267.
  18. Graham J. Murphy et Lars Schmeink, Introduction: The Visuality and Virtuality of Cyberpunk, in Graham J. Murphy et Lars Schmeink (ed.) Cyberpunk and Visual Culture, New York et Londres, Routledge, 2018, p. i.
  19. T. Foster, The Souls of Cyberfolk.
  20. Rob Latham, Our Jaded Tomorrows, in “Science Fiction Studies”, vol. 36, no 2, 2009, p. 340.
  21. Sharon Sharp, Nostalgia for the future: Retrofuturism in Enterprise, in “Science Fiction Film and Television”, vol. 4, no 1, 2011, p. 25.
  22. Elizabeth Guffey et Kate C. Lemay, Retrofuturism and Steampunk , in Rob Latham (ed.) The Oxford Handbook to Science Fiction, Oxford, Oxford University Press, 2014.
  23. Alain Damasio, Le cyberpunk est mort, “Socialter”, 14 janvier 2020, consulté le 9 octobre 2022.
  24. A. Damasio, Le cyberpunk est mort.
  25. Elon Musk, Please consider working at Neuralink!, “Twitter”, 31 janvier 2021, consulté le 6 décembre 2022.
  26. Cyberpunk 2077 est l’adaptation vidéoludique d’un jeu de rôle sur table de Mike Pondsmith, paru en 1988 dans sa première édition.
  27. Ibid.
  28. Comme l’affirme Jordan, le cyberpunk propose surtout des analogies, des métaphores et des concepts permettant d’appréhender nos vies numériques. Cyberpower: The Culture and Politics of Cyberspace and the Internet, Londres, Routledge, 1999, p. 33.
  29. Karin Harrasser, Transforming Discourse Into Practice: Computerhystories and Digital Cultures Around 1984, in “Cultural Studies”, vol. 16, n°6, p. 820-832.
  30. Cité dans Alain Damasio, Lloyd Chéry et Phalène de La Valette, Damasio: «Le transhumanisme est une impasse totale», in “Le Point”, 19 mars 2019, para. 3, consulté le 9 octobre 2022.
  31. David Le Breton, Anthropologie du corps et modernité, Paris, Presses universitaires de France, 2013.
  32. William Gibson, Neuromancien, Paris, J’ai Lu, 1985, p. 8.
  33. Ibid.
  34. Dans Neuromancer de William Gibson, Hardwired de Walter Jon Williams, Permutation City de Greg Egan et la trilogie Kovacs, de Richard K. Morgan, notamment.
  35. Ceux du chercheur en informatique et en intelligence artificielle Raymond Kurzweil, par exemple, des extropiens ou d’organisations politiques et de lobbying comme le Transhumanist Party ou l’association Humanity+.
  36. Pour une analyse détaillée, voir Christophe Duret, En des verres miroirs, obscurément: L’habiter urbain dans les fictions cyberpunk de la décennie 2010, Sherbrooke, Les Éditions de l’Inframince, sous presse, p. 402-410.
  37. Voir, à ce sujet, Gregory Barber, The Most Complete Brain Map Ever is Here: A Fly’s «Connectome», in “Wired”, 22 janvier 2020, consulté le 4 février 2021; Moheb Costandi, Fragment of Rat Brain Simulated in Supercomputer, in “Nature”, 8 octobre 2015. https://www.nature.com/articles/nature.2015.18536, consulté le 4 février 2021; Maris Fessenden, We’ve Put a Worm’s Mind in a Lego Robot’s Body, in “Smithsonian Magazine”, 19 novembre 2019, consulté le 4 février 2021.
  38. Printemps érable: nom donné aux manifestations étudiantes québécoises survenues au cours du printemps 2012.
  39. Nom donné aux esprits dans la religion vaudou. Dans la trilogie Sprawl, les Loas sont des intelligences artificielles en circulation dans le cyberespace.
  40. Matrice: terme désignant le cyberespace.
  41. Sabrina Calvo, Toxoplasma, Clamart, La Volte, 2017, p. 98.
  42. Larousse, Uchronie, consulté le 6 octobre 2022.
  43. Camille Baurin, Le super-héros contemporain : Uchronie et réinterprétation fictionnelle de l’Histoire, in “Mots. Les langages du politique”, vol. 2, n° 99, 2012, p. 46.
  44. Eric B. Henriet, L’histoire revisitée : Panorama de l’uchronie sous toutes ses formes, Paris, Les Belles Lettres, 2004, p. 39.
  45. Raymond Ruyer, L’utopie et les utopies, Paris, Presses universitaires de France, 1950, p. 9.
  46. S. Calvo, Toxoplasma, cit. p. 72.
  47. Ivi, p. 268.
  48. On peut penser au steampunk, au dieselpunk, au solarpunk et au biopunk, notamment, qui ont essaimé à la suite du cyberpunk.
  49. S. Calvo, Toxoplasma, cit. p. 287.
  50. Culture propre aux usagers de l’informatique et des réseaux de communication médiatisée par ordinateur.
  51. Ou «BBS», pour «bulletin board system»: serveurs permettant l’échange et le stockage des messages et des fichiers entre ordinateurs en passant par le réseau téléphonique.
  52. S. Calvo, Toxoplasma, cit. p. 32.
  53. Ivi, p. 86.
  54. Ivi, p. 32.
  55. Ivi, p. 167.
  56. Ivi, p. 194.
  57. Bulles informationnelles dans lesquelles les usagers des plateformes socionumériques s’enferment lorsqu’ils sont uniquement en contact avec des contenus médiatisés conformes à leurs valeurs et opinions, ce qui limite la possibilité de rencontrer une pluralité de points et d’informations. Eli Pariser, The Filter Bubble : How the New Personalized Web is Changing What We Read and How We Think, New York, Penguin, 2011.
  58. Daniel Allington, Théories du complot, radicalisation et médias numériques, Londres, Global Network on Extremism and Technology, 2021.
  59. S. Calvo, Toxoplasma, cit. p. 44.
  60. Surnom donné à Montréal.
  61. S. Calvo, Toxoplasma, cit. p. 77.
  62. Ivi, p. 103.
  63. Ivi, p. 77.
  64. Ivi, p. 204.
  65. Marshall McLuhan, The Medium is the Massage: An Inventory of Effects, New York, Bantam Books, 1967.
  66. Pierre Teilhard de Chardin, Œuvres de Pierre Teilhard de Chardin, tome I: Le phénomène humain, Paris, Seuil, 1956.
  67. S. Calvo, Toxoplasma, cit. p. 44.
  68. D. Suvin, Radical Rhapsody and Romantic Recoil in the Age of Anticipation, cit. p. 255.
  69. R. Latham, Our Jaded Tomorrows, cit. p. 340.
  70. Fredric Jameson, Postmodernism, or, the Cultural Logic of Late Capitalism, Durham, Duke University Press, 1991, p. 51.

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