Bibliomanie

À propos de l’animal félin – “Le Chat”, film de Pierre Granier-Deferre
di , numero 57, giugno 2024, Saggi e Studi, DOI

À propos de l’animal félin – “Le Chat”, film de Pierre Granier-Deferre
Come citare questo articolo:
Fatima Seddaoui, À propos de l’animal félin – “Le Chat”, film de Pierre Granier-Deferre, «Bibliomanie. Letterature, storiografie, semiotiche», 57, no. 9, giugno 2024, doi:10.48276/issn.2280-8833.11395

1. Introduction
Pierre Granier-Deferre est le réalisateur du film intitulé Le Chat, une adaptation du roman de Georges Simenon, paru en 1967. Le résumé du film est le suivant: un couple de retraités Julien Bouin, ancien ouvrier et sa femme Clémence, ancienne trapéziste de cirque, après 25 ans de mariage, tentent tant bien que mal de continuer à cohabiter dans le même pavillon. Néanmoins, ces derniers n’arrivent plus à se supporter finissant chacun dans son coin par communiquer uniquement par petits papiers. Pour rompre avec cette vie solitaire, Julien Bouin adopte un chat errant, (qu’il appelle Greffière ou Pépère) sur qui il concentre toute son attention et son affection tandis que Clémence, face à tant d’indifférence, finit par égarer le chat en question pour attirer une once d’attention de son mari. Dès lors, une guerre silencieuse aussi redoutable qu’inhumaine s’installe entre les deux personnages en raison de ce chat qui prend toute la place au centre du couple.
Ainsi, d’un point de vue narratologique cet animal se trouve au centre même du dispositif filmique, il est en quelque sorte le point névralgique autour duquel se concentrent toutes les tensions du couple mais aussi du récit dramatique filmique car Clémence finit par exécuter par balle le félin. L’animal est en fait associé à des sentiments contradictoires. D’une part, il est l’objet de toute l’attention de Julien Bouin, qui lui-même se présente comme quelqu’un de terriblement odieux vis-à-vis de sa femme à qui celui-ci lui témoigne, à la fois indifférence et propos intolérables. D’autre part, le félin est en relation avec tout une métaphorisation imagée que le spectateur devine autant dans sa posture que dans sa symbolique. Sans prétendre à l’exhaustivité, à partir de séquences filmiques, il s’agira en fait de se pencher sur la fonction de l’animal félin: comment est-il représenté et, comment inter agit-t-il avec les personnages principaux? Deux problématiques sont ainsi envisagées: la première s’intéresse à la scénographie du chat, la deuxième à ses fonctions et enjeux, autrement dit, à la façon dont celui-ci modifie les rapports humains du couple.
Précisément, dans cet article on s’intéresse à la place de l’animal occupée dans le film. Pour ce faire, la question est simple: comment l’animal est-il mis en exergue? Quels sont ses fonctionnements et ses enjeux dans le récit filmique et, dans le couple? Pierre Granier-Deferre, s’éloigne du roman de Georges Simenon en changeant les noms des personnages, les modus operandi; néanmoins son adaptation filmique repose sur ce chat, voire même tout se construit autour de cet animal. Il semble convoquer tout un arsenal de techniques ou d’outils pour valoriser cet aspect qu’il convient à présent d’annoncer dans notre plan. Nous verrons d’abord que l’animal félin occupe une place de choix dans le drame, voire même, est-il l’objet de rupture et de séparation du couple. Phénomènes qui méritent que l’on interroge les fonctions et les enjeux en rapport avec cet animal autour duquel est convoquée une esthétisation visuelle poétique.

2. Un chat et un drame
Les études sur les animaux autant dans le roman que dans le film ne sont pas nouvelles. Nous rappelons celles d’Anne Simon, récentes et incontournables, qui se sont intéressées, depuis une dizaine d’années, aux figures animalières. Pour ce faire, il convient de mentionner une intervention à ce sujet, intitulée: «Les animots, des bêtes en littérature»1, une parmi d’autres, en 2018, aussi riche qu’originale, pour expliquer la part belle à l’animalité: par sa métaphore, sa figure et autres en littérature. Par ailleurs, celle-ci a développé un concept innovant depuis ces dernières années:

«L’heure est venue où la question de «l’animalité» s’est révélée caduque, tant elle renvoie au laminage de la généralité et à l’abstraction mortifère du concept non producteur – pensons aux propos de Jacques Derrida, Élisabeth de Fontenay ou Jean-Christophe Bailly.»2

Il convient de poursuivre ce propos:

«La zoopoétique veut montrer que la littérature, par sa capacité à l’individuation d’une bête, sa fascination (parfois métalinguistique) pour les organismes hétérogènes, les hybridations ou les symbioses, son attention aux partages sensibles et affectifs entre animaux et humains, son souci pour des milieux singuliers et des écosystèmes complexes et fragiles apporte un savoir – et non pas simplement une représentation – spécifique et novateur sur le vivant, en reliant cette notion à son incarnation dans une pluralité de formes vitales. »3

Un extrait du roman de Georges Simenon, Le Chat permet de poser quelques éléments du récit:

«Il accusait sa femme d’avoir empoissonné son chat, à lui qu’il avait aimé avant même de la connaître.
-Un vulgaire chat de gouttière, prétendait-elle.
Au temps où ils se parlaient encore presque toujours pour entamer une dispute. Si le chat n’était pas de race, ce n’était pas non plus un chat de gouttière, son corps plus long, plus souple s’étiraient le long des murs et des meubles comme le corps d’un tigre. Il avait la tête la plus petite, plus triangulaire que les chats domestiques et son regard était fixe, mystérieux. Emile Bouin prétendait que c’était un chat sauvage qui s’était aventuré dans Paris. Il l’avait trouvé très jeune au fond d’un chantier au temps où il travaillait encore dans la Voirie Parisienne. Veuf, il vivait seul. Le chat était devenu son compagnon. Il y avait encore des maisons de l’autre côté de l’impasse où maintenant on construisait un vaste immeuble de rapport.
Quand il avait traversé la chaussée pour épouser Marguerite, le chat l’avait suivi. Le chat qu’il avait découvert, un matin dans le coin le plus sombre de la cave. Le chat qui avait été empoisonné en mangeant la pâtée de Marguerite. La bête s’était jamais habituée à Marguerite. Pendant les quatre qu’elle avait vécu dans la maison d’enfance, elle n’avait accepté sa nourriture que des mains de Bouin.
Deux fois, trois par jour sur simple claquement de langue qui servait de signal elle suivait son maître comme un chien dressé le long des trottoirs de l’impasse. Ce chat-là était le seul à l’avoir caressé jusqu’au jour ils avaient pénétré tous les deux dans une nouvelle maison où régnaient de odeurs inconnues.
-Il est un personnage mais il s’habituera à toi.
Il ne s’était pas habitué. Méfiant, il ne s’approchait jamais de Marguerite, ni de la cage du perroquet, un grand ara aux couleurs brillantes qui ne parlait pas mais qui lorsqu’il se mettait en colère poussait des horribles cris.
-Ton chat
-Ton perroquet
Marguerite était douce, presque suave. On l’imaginait jeune et svelte, déjà vêtue de tons pastels coiffée d’une grand chapeau de paille et se promenant poétiquement, une ombrelle à la main, au bord d’une rivière. Il y avait dans la salle à manger une photographie qui la montrait ainsi.»4


Si les personnages ont changé de noms, (Julien et Clémence Bouin) et si le perroquet est absent, il est clair que le chat se trouve au centre du film dramatique. Comment celui-ci est-il mis en valeur? Le récit s’amorce par une image panoramique qui localise le topos spatial du récit filmique, une banlieue parisienne dans laquelle le quartier est en pleine démolition. Une première séquence assez longue, d’un gyrophare d’une ambulance qui traverse tout un quartier en déconstruction, en chantiers. Il fait alterner cet espace urbain avec ce gyrophare en action. Pour cela, il utilise des travellings et des images fixes du gyrophare. S’ensuit une image fixe d’une litière vide dont la couverte est rose. Au fond d’une allée y visible le pavillon qu’occupe le couple depuis 25 ans de vie commune. Ce tintatamar constitué de bruits des pelleteuses, des bétons qui s’écroulent rythme la vie quotidienne du couple. Néanmoins, le film bascule avec l’arrivée du chat apporté par Julien Bouin au domicile conjugal. Comment le réalisateur parvient-il à scénariser l’animal? Quels sont ses postures? Dès le titre, nous savons qu’un animal est au centre du film, néanmoins il brille d’abord par son absence, avant d’être exposé physiquement, sa litière rose vide acte sa présence dans la maison. Il est à noter qu’il est filmé sous diverses positions ou postures: en gros plan, en travelling avant arrière, latéral, gauche ou droite, debout, assis, au bord de la fenêtre marchant sur les étagères de la cave, longeant le sol ou allongé sur son panier rose, ce chat est presque, voire toujours, observable dans l’ensemble du film. Il occupe des séquences qui durent quelques minutes notamment sur le chemin du retour après avoir était abandonné sur les rayonnages du poissonnier d’un magasin, La Parisienne. S’il occupe le terrain pour ainsi dire, il semble souvent faire l’objet de l’attention de son maître Julien Bouin. Il est cadré, à valeur descriptive, dans ses bras, lui parlant souvent. Ainsi, occupe-t-il une place de choix dans le récit filmique et dans la maison.

«Pierre Granier-Deferre n’ajoutait aucun soleil inutile dans ses films. La brume en dit souvent plus long. Pour les décors, nul besoin de palaces ou de palmiers. Un pavillon grisâtre isolé parmi des barres HLM symbolisait mieux les états de cœur de Jean Gabin dans « le Chat ». Gabin qui lançait à sa vieille épouse, Simone Signoret : « J’t’avais dit que j’t’aimerais toujours, ben j’me suis gouré. J’ai vieilli pis j’t’aime plus et pis c’est tout. » Et elle, après avoir tué le chat auquel il s’était attaché, de lui lancer des « miaou » rageurs en pleine figure.»5

Néanmoins, par jalousie ce chat finit par mourir. En effet, par jalousie, Clémence le tue. Un drame qui rajoute encore plus de désespoir. Mais avant cela, il convient d’indiquer que la mort du félin résulte surtout de la place de substitution occupée auprès de Julien Bouin. En effet, celui-ci finit par s’immiscer au centre du couple, voire prend-il celle de Clémence Bouin qui l’exécute par balle avec l’arme de Julien remise à celle-ci.

3. Un chat et un couple en séparation
Sorti en salles en 1971, Le Chat, adaptation sur grand écran du roman de George Simenon, raconte l’histoire de Julien Bouin et sa femme Clémence qui se déchire après des années de vie commune. De compléter notre propos:

«C’est un couple qui s’est beaucoup aimé physiquement moralement et puis, qui est arrivé à une certaine usure au bout de trente ans parce que mon Dieu, au bout de trente ans les choses changent, on est soi-même en colère parce qu’on change et on en veut à l’autre (…). Comme on a beaucoup malgré tout de la tendresse à donner dans ces situations, eh bien, il y a des gens qui choisissent un amant, une maitresse, des enfants. Là, ils n’ont pas d’enfants(…). C’est de la tendresse (…). Cette collection ou ce chat prend toute la tendresse qu’il a à donner et elle devient peu à peu jalouse, tout en aimant assez bien ce chat qu’elle trouve beau, elle le dit, d’ailleurs, mais il prend toute la tendresse qu’elle proclame, et ça devient un drame.»6

Comment la rupture conjugale, en présence du félin, est-elle filmée? Pour cela, le réalisateur semble privilégier la figure dichotomique à la fois, physique et émotionnelle, corroborée par des face à face silencieux qui ne sont rien d’autres que les expressions d’indifférence, des malaises, partagés par les personnages respectifs. Afin de matérialiser cette séparation du couple de manière physique, le réalisateur parvient à mettre en exergue une coupure. D’abord, les personnages font lit, à part. Ensuite, ils dînent ou déjeunent chacun séparément et respectivement de son côté. Une image de prédilection du réalisateur est celle panoramique cadrée d’ensemble qui permet de souligner cette rupture concrétisée par une séparation physique visible au moment du déjeuner. Julien Bouin est assis à sa table, derrière sa femme, tandis que celle-ci est en train de se servir d’un verre de vin. Le quotidien est sans cesse valorisé par une ambiance lourde marquée par une rupture nette, à la fois physique et émotionnelle des personnages. Comment montrer cette solitude dans le couple? Une séquence la montre marchant dans la rue, rentrant et sortant aussitôt d’un magasin, s’ensuit alors Julien qui était derrière elle, qui rentre dans ce même magasin. La caméra travelling dans cette séquence permet de confirmer cette séparation physique du couple. Celle-ci semble atteindre son paroxysme lors des face à face entre Clémence et Julien où le silence est pesant. Une séquence présente alors une grande émotion véhiculée par Clémence criant de douleur grâce à l’usage du gros plan, qui accentue son désarroi et sa solitude face à l’indifférence de son mari Julien, impassible et sans réaction, face à celle-ci. La sévérité de celui-ci peut certainement s’expliquer par la rudesse du quotidien qui laisse place à aucune empathie vis à vis de sa femme. Cette séquence est d’une intensité singulière car elle repose sur la dimension visuelle marquée par une forte émotion ressentie par Clémence. Un gros plan met en valeur ses yeux rouges larmoyants, son visage est décomposé par la douleur, son cri persan redoutablement: «miaou, miaou», ( imitant le chat) bouleversant rendent hommage à l’écriture filmique du réalisateur. Par un simple élément stylistique, ici le gros plan, dans le cadre d’un face à face, autrement dit un champ-contrechamp, le spectateur découvre une femme complétement seule, isolée chez elle, dénuée de toute humanité. Ces deux personnages se côtoient dans le même espace de la maison; néanmoins dans certaines pièces ils sont séparés, isolés, livrés chacun à ses activités quotidiennes, voire même au silence partagé par ces derniers. Pour appuyer cette disjonction spatiale, il convient de mentionner les potentialités de l’animal qui se déploient dans certaines séquences. Une en particulier reteindra notre attention, cadrée d’ensemble, celle du couple dans la chambre, où chacun y allongé sur son lit, l’un avec une couverture rose; l’autre, avec une jaune sur lequel le chat, debout, observe son maître Julien, en train de dormir tandis que Clémence observe celui-ci avec détermination. L’animal marque ainsi son territoire et, atteste remarquablement une rupture avec celui de Clémence qui le regarde encore avec insistance.
La position du chat s’inscrit dans une dualité. Ainsi, est-il valorisé à la fois par sa proximité avec son maître et, paradoxalement, par une distanciation physique observable du côté de Clémence qui perd sa place auprès de son mari, remplacée doucement par cet animal devenu compagnie de celui-ci. Cet éloignement physique et symbolique de Clémence est encore plus prononcé lors d’un panoramique corroboré par un travelling avant, qui souligne la distanciation de Julien, dehors dans l’attente de son chat qui a disparu par rapport à sa femme, Celui-ci est largement très éloigné devant celle-ci, lui regardant en hors champ, attendant son chat. Scène mise en relief par l’usage des surcadrages des portes et de la fenêtre qui ne font qu’accentuer cette rupture à l’image, expression du bannissement de Clémence.
De plus, le chat au cours du récit filmique est présenté comme un personnage à part entière. Clémence ne cesse de le regarder, de l’épier et aussi de lui parler. Réactions qui traduisent outre sa colère et sa jalousie, une forme de déséquilibre mentale et de désarroi. À ce propos, une séquence est assez éloquente: au début du film, juste après la sortie de Julien, elle descend à la cave pour y déposer une bouteille vide. Celle-ci s’adresse alors au chat en ces termes: «Il croit que je te déteste. Je ne te déteste pas». Elle poursuit: «Il ne faut pas abîmer les trésors de son papi, car il a composé ses journaux avec beaucoup d’amour» qui la regarde dans un cadre de champ-contrechamp. Avec un couteau, celle-ci commence à érafler les journaux, un après l’autre, le réalisateur choisit alors le gros plan alterné avec les travellings du félin qui, agité circule d’une étagère à une autre. En outre, elle s’adresse encore à ce dernier, juste après la réception d’un avis d’expulsion déposé par le facteur: «le gentil minou et son grand maître; vous pourrez vous trouver un petit 2 pièces avec un living; et moi je pourrai retourner dans ma roulette» dit-elle. Il faut savoir que ses propos sont tenus avant l’exécution de l’animal. Si l’animal a une place de choix au sein du couple comme élément de rupture et de jalousie. Exposé tout à tour tel un témoin, un coupable de la destruction du couple, objet de la jalousie de Clémence, il devient aussi une victime.
Avant cela, il convient d’indiquer que Clémence a laissé le chat chez le poissonnier du magasin, La Parisienne afin de s’en débarrasser. Or, le chat finit par revenir au domicile. Regard hors champ, au seuil de la porte, Julien attend patiemment son chat qu’il voit arriver au travers de sa fenêtre. Une alternance d’un travelling et un autre avant, permet de scénariser la scène nocturne avant le geste assassin de Clémence. Un champ-contrechamp, le gros plan choisi élaborent le face à face du chat et de Clémence, assise sur un fauteuil qui reteint toute sa haine ressentie à son égard. Tandis que celui-ci s’occupe de donner à manger à son chat, Clémence crie «je monte, je monte, je monte» avant de claquer la porte de la cuisine. Julien réinstalle alors son chat dans sa litière avant de monter dans leur chambre. Alors que l’animal miaule, Clémence dit: «il t’appelle si tu veux je peux lui donner mon lit». Et, lui demande: pourquoi tu me regardes comme un objet, moins aimée qu’un chat?», «J’ai changé» lui répond-t-il. Il poursuit: «j’ai vieilli, je ne t’aime plus», «le temps nous séparera un jour ou l’autre»; d’ajouter à son propos final avant sa sortie, : «tu n’as que te suicider, en lui remettant entre les mains de Clémence son arme à feu». Clémence tire trois fois sur le chat avant de l’exécuter. Grâce à un travelling latéral, le spectateur suit les mouvements de Julien jusqu’ à la maison pour prendre la bête morte dans ses bras avant de la jeter dans la poubelle.

4. Pour une esthétique poétique autour d’un chat
S’il y a un travail d’esthétique, il se révèle par la présence des petits mots qui actent l’absence de communication et la rupture dans le couple. Le dernier sur lequel y est écrit «Le chat» par Julien alors qu’ils ont tous les deux, localisés, face à face dans un mutisme lourd. Lancé sur elle comme un objet, sans considération aucune, celui-ci se lève et sort de la maison. Énervée, celle-ci monte dans sa chambre avec le petit mot qu’elle s’empresse de déposer dans une boîte localisée sous son lit. Tandis qu’elle lit les autres papiers de la boîte en question, elle fait un malaise qui renverse bruyamment, en tombant de sa personne, la lampe de la chambre. Ayant entendu le bruit, Julien court en direction de la maison, monte les escaliers. Celle-ci meurt dans ses bras. Ce petit mot sur papier qui scande le récit filmique à l’identique d’une litanie scripturale fonctionne comme un trou langagier, celui de l’amour perdu demandé par Clémence. Métaphore ou métonymie, le chat écrit sur le papier n’est autre qu’un raccord temporel, celui du crime de Clémence. Ce même papier est aussi un raccord temporel qui permet au spectateur de revenir sur l’épisode du chat trouvé par Julien qui marque en fait le basculement dans la vie du couple. Ce procédé utilisé permet de faire un retour en arrière, celui de la visite de la maison lors de sa signature du bail. Pour ce faire, une séquence scénarise l’agent immobilier faisant visiter la maison localisée dans une impasse qui donne sur un chemin calme, végétalisé entouré d’immeubles. Au même titre qu’un fondu enchaîné, les algues lavées par Clémence préparant son déjeuner ou ses bas lavés, ces images ou moyens techniques facilitent le retour en arrière des événements associés à la vie d’avant, celle de la jeunesse perdue, de la maison du bonheur qui traduisent la césure entre le temps de l’action et celui d’avant. La présence de ces petits mots concordent ou précèdent généralement une action clef du récit filmique. Tout comme le chat physiquement présent en tant que témoin, objet ou victime des scènes de disputes des personnages. On ne peut ignorer les images de destruction qui scandent l’ensemble du film, celles-ci rappellent combien le monde change, le quartier, la ville, dont ces derniers sont témoins d’un modernisme des années 70 qui s’installe. Plus que cela, celles-ci miment inéluctablement la dégradation du couple: Clémence tue le chat de Julien par jalousie, celle-ci fait un malaise cardiaque générée par le stress et l’indifférence subis. Quant à Julien Bouin, certainement rongé par la culpabilité, décide de se suicider avec des comprimés. Pour rappel le gyrophare de l’ambulance dont on entend sa sirène dès l’incipit filmique n’est autre que l’excipit où l’ambulance transporte Julien Bouin à l’hôpital avant son dernier souffle. Le traitement final du film diffère ainsi de celui du roman; en effet, la mort de Marguerite ne ressemble pas à celle du film:

«Il allait appeler son nom, oubliait qu’ils ne se parlaient plus. Il poussait la porte. Le spectacle ne l’étonnait pas. La mort l’avait frappée alors qu’elle était en combinaison».
(…).
Mais elle était morte.
-Vous avez été opéré d’urgence la nuit dernière. Vous ne devez pas vous agiter. Ma femme..
-On s’en occupe.
– Elle est bien m…m…
-Oui
-Et moi?
Le médecin ne put s’empêcher de sourire. Vous vivez, mais je ne vous cache pas que vous resterez longtemps ici … Il vous faudra être sage.»7


5. Conclusion
En guise de conclusion, la présence du félin dans le film participe fortement d’une dramatisation dans la vie d’un couple où chacun finit par se détester ou s’ignorer. Le Chat de Georges Simenon adapté par Pierre Granier-Deferre valorise l’animal félin localisé au cœur de l’intrigue et au centre des personnages principaux. À la fois animal de compagnie, objet de rupture conjugal et de jalousie par Clémence, épouse de Julien Bouin; il est visiblement identifié tel un personnage central du film dramatique. Entre tension et jalousie, il semble déchaîner des passions. Le réalisateur a su habilement exploiter les potentialités de cet animal qui interrogent de façon existentielle l’humanité. Celle dénuée de tout, sans fard, sans apparat, sans rien; seulement, et rien d’autre, que l’indifférence qui pousse une femme à commettre l’irréparable.


Références bibliographiques
Le Chat, Pierre Granier-Deferre, film, Valoria Films, Connaissance du Cinéma/Les Acacias, 1971.
Belletto René, Film noir, Paris, POL, 2011.
Bourget Jean-Loup, « Films noirs et polars en tout genre », Positif, 568, juin 2008.
Brion Patrick, Le film noir, Paris, Nathan, 1992.
Buss Robin, French film noir, London, Editions Marion Boyars, 1994.
Cléder Jean, Entre littérature et cinéma. Les affinités électives, Paris, Armand Colin, 2012.
Eco Umberto, « Sémiologie des messages visuels », Communications, n°15, Education, 1970.
Gaudreault André, Du littéraire au filmique. Système du récit, Paris, Armand Colin, 1999 [1988].
Mespelde Claude, « Du roman noir au film », Mouvements, n° 67, La Découverte, Paris, 2011.
Metz Christian, Essais sur la signification au cinéma, Paris, Klincksieck, 2003 [1968].
Nino Frank, « Un nouveau genre policier : l’aventure criminelle », L’Écran français, n o 61, Paris, 1946.
Poirson-Dechonne Marion, « Polar français au cinéma (1961-2011), Une esthétique au service d’un engagement politique», Mouvements, n° 67, 2011.
Silver Alain et Ward Elizabeth, Encyclopédie du film noir, Paris, Rivages, trad. Michèle Hechter, 1987.
Simenon Georges, Romans Durs, 1966-1972, Le Chat, Omnibus, Paris, 2023.

Note

  1. Anne Simon – «Les “animots”: des bêtes en littérature», série Un animal pour les sciences sociales, réalisation : Momoko Seto. Production : CRAL-CNRS/EHESS, 2018, consulté le 27 Avril 2024.
  2. «Présentation de la zoopoétique», in Carnets de zoopoétique, consulté le 27 Avril 2024, https://animots.hypotheses.org/zoopoetique
  3. Ibidem
  4. Georges Simenon, Romans Durs, 1966-1972, Le Chat, Omnibus, Paris, 2023, pp.111-112.
  5. Pierre Granier-Deferre, cinéaste des drames ordinaires, Caroline Andrieu, 18 Novembre 2007, consulté le 27 Avril 2024, https://www.leparisien.fr/pierre-granier-deferre-cin-aste-des-drames-ordinaires-18-11-2007-3291373403.php
  6. Pour le cinéma, 6 Décembre 1970.
  7. Georges Simenon, cit, p.215.

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