Observation, action, agency: le phare dans les dystopies contemporaines
Manuela Mohr, Observation, action, agency: le phare dans les dystopies contemporaines, «Bibliomanie. Letterature, storiografie, semiotiche», 58, no. 7, dicembre 2024, doi:10.48276/issn.2280-8833.12026
Introduction
Bien que la profession de gardien de phare soit en train de disparaître, et que les phares fonctionnent désormais de manière autonome, ce métier et la construction architecturale dans laquelle il s’exerce hantent les dystopies contemporaines. La nouvelle «So phare away» d’Alain Damasio1 et L’Homme qui n’aimait plus les chats d’Isabelle Aupy2 s’inscrivent dans ce sous-genre de la science-fiction. Tandis que Damasio met en scène une ville engloutie dans l’asphalte visqueux, où l’unique communication possible entre les habitants passe par des signaux lumineux envoyés depuis les phares, Aupy situe l’action de sa novella sur une île où se trouve un phare gardé par le vieux Thomas. Du jour au lendemain, tous les chats disparaissent de l’île; l’administration du continent les remplace par des chiens, mais prétend que ce sont des chats. La manipulation des masses, orchestrée par le pouvoir, s’oppose à la résistance des occupants des phares. Les dystopies leur accordent le privilège de la parole: le narrateur intradiégétique de L’Homme qui n’aimait plus les chats assume cette fonction après la mort de Thomas:
«[C]’est moi qui ai repris le phare, voilà pourquoi c’est moi qui la raconte cette histoire.3» Les occupants des phares initient ou participent activement à la lutte contre les structures oppressantes et injustes, s’exprimant en faveur de valeurs essentielles, comme la liberté et le respect de l’autre. La dimension testimoniale de leur récit leur confère la responsabilité d’observer, de dénoncer et d’agir, comme le déclare Thomas: «Je suis le gardien du phare, mon rôle est de surveiller l’horizon et l’horizon commence à puer la merde de chien.4»
Ainsi, cette contribution a pour but d’apporter un éclairage à ce sentiment de responsabilité qui lie étroitement l’univers fictionnel et le monde réel.
D’une part, la posture auctoriale des écrivains de science-fiction, et notamment de Damasio qui est connu pour ses prises de position fortes, renvoie à la mission dont ceux-ci se sentent investis. La croyance en le pouvoir des littératures de l’imaginaire à endosser un rôle de premier ordre dans le monde réel sous-tend cette idée. D’autre part donc, la porosité des mondes science-fictionnel et réel invite à la réflexion sur la réception: comment la métaphore du phare est-elle transformée jusqu’à donner à ce dernier une place de choix dans la diégèse afin d’affronter les défis auxquels l’humanité fait face?
Dualismes apparents
À première vue, les représentations du phare et de ses habitants sous-tendent une conception manichéenne des univers dystopiques: les personnages associés aux phares s’opposent à ceux du continent qui adoptent un comportement égoïste et destructeur. Tandis que les premiers défendent les valeurs humanistes et écologiques, les seconds s’inscrivent dans le camp de leurs adversaires en raison de leur volonté de saboter ces efforts.
Dans «So phare away», plusieurs éléments relatifs à l’univers fictionnel et aux stratégies d’écriture véhiculent un dualisme prégnant. Premièrement, la structure spatiale du monde intradiégétique s’inspire de l’architecture des espaces dans les dystopies urbaines5: les occupants des phares, qui ont le privilège de communiquer à travers des codes lumineux, vivent en hauteur; la majorité de la population vivent en bas, exposées aux danger des marées d’asphalte liquide. Cette division est présentée comme absolue: «Tu es né dans un phare ou tu es né sur l’asphalte […]. Tu roules ou tu communiques. Il n’y a plus de mélange possible aujourd’hui.6»
Elle reflète la séparation des classes sociales. Parmi les personnages privilégiés, une séparation supplémentaire est annoncée par la Gouvernance : seule l’élite et quelques traducteurs pourront emménager dans les nouveaux phares gigantesques pour investir un vaste espace de communication. Toutefois, aucune communication verticale ne sera permise. Sofia, une traductrice douée, reçoit une proposition pour occuper un grand phare, mais cette idée révulse son amant Farrago: «[J]e sentis Farrago se recroqueviller d’un geste minuscule. Il était encore contre moi une seconde auparavant: une lame d’air de la minceur d’une peur, à présent, nous désolidarisait.7»
La nouvelle développe la séparation physique et émotionnelle du couple jusqu’à la rupture finale, causée par une erreur de transmission. La Gouvernance agit comme un pouvoir obscur qui creuse les inégalités et disjoint les liens entre les occupants des phares disposant de connaissances et de ressources pour la renverser. Deuxièmement donc, le manichéisme prend la forme d’un combat déséquilibré entre occupants de phares avertis et une structure tyrannique. Certains ouvrages post-apocalyptiques proposent en effet des «scénarios violents et binaires.8»
La nouvelle damasienne, qui semble effectivement avoir pour cadre notre monde après la catastrophe écologique, met l’accent sur la relation de domination dont souffrent les émetteurs dans les phares. Ils se battent en dépit de la situation désespérée et n’abjurent pas leurs valeurs9. Finalement, le déséquilibre est aussi exprimé à travers les chiffres: la quantification de la catastrophe politique, sociale et environnementale met en place l’organisation dualiste des humains. La Gouvernance entretient sciemment la pénurie de phares («Ça n’en fera jamais que cinq mille. Pour cinq millions d’habitants10») et le statu quo du mode de vie des plus défavorisés. Elle est capitaliste, accordant beaucoup de temps de projection aux phares commerciaux, pénalisant les émetteurs privés et artistiques :
«Les plages d’émission sont les suivantes:
Phares de catégorie C – autophares, phartistes et liphares: 18h à 19h
Phares de catégorie B – vigies-tempêtes, vigies-marées et éclaireurs: 19h à 20h30
Phares de catégorie A – phares commerciaux et publicibleurs: 20h30 à 22h11.»
Les sociétés dystopiques se caractérisent souvent par la séparation et la hiérarchisation des individus. Cette catégorisation maintient le pouvoir de l’apparat totalitaire que Damasio s’évertue à dénoncer dans «So phare away» et d’autres textes du même recueil: à travers l’opposition «des sociétés corpocratiques hautement surveillées à des microsociétés autogérées, construites dans les marges et interstices du pouvoir12», l’écrivain propose un monde fictionnel empreint de manichéisme. En ce que leur présence est révélatrice des dysfonctionnements de la société, les phares contribuent à l’évocation d’un dualisme structurel problématique.
Dans l’œuvre d’Aupy, on relève des stratégies d’évocation de structures manichéennes similaires: tout d’abord, sa rhétorique spatiale oppose les insulaires aux continentaux et, dans une logique de verticalité, le gardien du phare à ceux vivant en bas: «Le vieux du phare pouvait débiter facilement des évidences, sans doute parce qu’il perchait en hauteur, qu’il observait tout depuis sa tour, sous la lumière de sa lampe. Il vivait au-dessus des choses et elles ne le touchaient pas beaucoup, les choses.13»
Les chats de l’île sont remplacés et massacrés par les chiens venus du continent. La lutte entre les deux espèces animales, ainsi que celle entre les personnages venus d’horizons différents, est donc inégale. Le déséquilibre se manifeste à travers l’anonymat de la femme du continent, l’absence d’informations sur l’appareil administratif ayant procédé au remplacement des chats par des chiens, et le caractère naïf des insulaires. Ceux-ci sont dépeints comme des gens simples qui ne s’expriment pas de la même manière que les continentaux. Quand ils prennent la parole, les insulaires poursuivent des objectifs adaptés à la vie sur l’île: par exemple, ils ne font pas la distinction entre ami / connaissance / collègue / camarade / confrère / copain14 parce que tous s’entraident et se soutiennent. Justement, le décervelage et le contrôle des insulaires est possible parce que les continentaux manient bien les mots et parlent leur propre langue que le narrateur-protagoniste appelle «le convaincu.15»
L’expression de la quantité permet aussi de séparer les personnages en deux groupes distincts: alors que les insulaires privilégient les quantités indéterminées (ils ont «des chats, beaucoup de chats16») et n’ont pas d’heures fixes avant l’arrivée des chiens («Les jours ont passé, une semaine, une dizaine, ça n’a pas vraiment d’importance17»),la femme de l’administration emploie les quantités déterminées et affectionne les chiffres précis. Cela concerne d’abord le gardien du phare dont elle connaît la date de naissance et «tout ce qu’on met sur le papier pour payer les impôts.18»
En plus de la rigidité administrative, elle-même un indice dystopique, les chiffres sont un outil de violence. Thomas est le premier à subir la classification par les chiffres alors qu’il semble le moins susceptible de réagir à la disparition des chats19. Ce paradoxe apparent renvoie d’ores et déjà à l’importance que le phare joue dans la mise en place de la résistance.
Ce mouvement de résistance auquel participent les occupants des phares paraît dès lors diviser les personnages en bons et méchants. Tout se passe comme si la puissance évocatrice de l’architecture et de la fonction traditionnelle du phare était exploitée dans un seul sens. Farrago rappelle que les premiers feux de bois20, précurseurs des phares, assurèrent la signalisation maritime pour sauver des vies:
«À l’origine, […] les phares avaient été bâtis pour guider de très loin les navires qui venaient du large. Ils étaient le porte-étendard de la ville, son interface fière, ouverte par construction sur l’extérieur, offrant aux voyageurs la plus généreuse des lumières, celle qui accueille, celle qui sauve.21»
Toutefois, ni les phares antiques, ni les phares modernes ne trient les voyageurs en fonction de leurs intentions; la femme de l’administration débarque même «sous les rayons du phare.22»
On voit comment, à travers les phares, les textes enchevêtrent étroitement la lumière et l’obscurité23; ils travaillent les oppositions binaires de manière à faire ressortir le rôle que jouent les phares et ses occupants dans les dysfonctionnements de l’univers fictionnel.
Nuances révélatrices: des oppositions aux ambiguïtés
Les dystopies contemporaines transposent les fonctions de mise en lien, d’orientation et de refuge du phare dans une écriture qui, en introduisant des nuances ambiguës dans les dichotomies, invente de nouvelles manières d’entrer en relation et de créer un avenir désirable. Dans les sociétés défaillantes de Damasio et d’Aupy, les phares et ceux qui y vivent ou les fréquentent pointent les problèmes qui affligent les lecteurs dans le monde réel. Les œuvres mobilisent le phare et son imaginaire pour mettre en place deux passages: celui qui aboutit à l’action dans le monde fictionnel, et celui qui amène les lecteurs du monde fictionnel à l’ agency24 dans le monde réel.
Le phare protège, isole de l’extérieur et permet à ceux qui partagent les mêmes peurs de trouver du soutien25: «J’avais surtout les idées embrouillées. Alors j’ai fait la seule chose à faire, je suis sorti de chez moi pour aller voir le vieux Thomas26», dit le narrateur intradiégétique d’Aupy. Les insulaires sans chien «pouvaient se réfugier dans mon phare pour parler. Nous ne faisions rien d’autre que dire ce que nous voyions et nos inquiétudes27», explique Thomas. Ce dernier entretient un rapport ambivalent avec les insulaires: «À l’écart, il veille, tourné vers les autres. Tel est le paradoxe du gardien de phare. Son expérience de vie est asociale, mais ce sont les autres qu’en guettant les dangers il protège et avertit.28»
L’attitude liminaire du gardien reflète l’entre-deux géographique du phare où se rencontrent les oppositions, en ce que «les phares se trouvent entièrement exposés à ses forces mais aussi, et surtout, au spectacle qu’elle offre, c’est-à-dire au perpétuel dynamisme du monde animé et inanimé qui se répète et se renouvelle sans cesse.29
Les dystopies de Damasio et d’Aupy suggèrent que l’insistance sur la juxtaposition des oppositions ouvre sur la réinvention des fonctions du phare dans le monde contemporain; le seuil sur lequel se situe le phare est un espace privilégié favorisant la réflexion, la concentration et introspection30 grâce à l’isolement. Nonobstant, il peut rassembler des scientifiques de différentes disciplines, collaborant pour rendre le phare toujours plus performant31. Fonctionnant de manière automatisée, le phare moderne peut aussi se passer complètement de la présence humaine. Le changement d’un phare occupé à un phare sans gardien illustre un changement de paradigme technologique et souligne la singularité des univers dystopiques de Damasio et d’Aupy, où les phares sont habités.
Les phares sans et avec gardien véhiculent des significations différentes, mais partagent la même fonction de guide. La présence du gardien représente la vigilance humaine, l’engagement et la responsabilité. Ce personnage incarne la figure du protecteur. C’est un symbole de dévouement et de persévérance. Bien qu’ils ne soient pas des gardiens au sens strict, Sofia et Farrago en font également preuve, en ce que leurs compétences linguistiques rendent possibles la traduction et le relais de messages en dépit d’un espace de communication saturé32. Qui plus est, le gardien est un symbole du lien entre l’homme et la nature. Son travail est souvent ardu, demandant une attention constante face aux forces de la mer et du vent. Pour les insulaires d’Aupy, celles-ci imprègnent profondément leur vie33, de sorte qu’elles mènent les personnages de la prise de conscience (la vérité «e glisse dans la mer et dans le vent34») à la résistance au complot orchestré par les continentaux. C’est pourquoi le narrateur intradiégétique peut finalement affirmer face à la femme du continent: «Mais son numéro, je le connaissais, et je n’étais plus le même. J’avais pris mon temps, un temps avec la mer et le vent. Je savais qui j’étais.35»
Dès lors, la mise en scène de phares habités est un choix révélateur des dystopies contemporaines ; en réitérant la symbolique de la persévérance et du dévouement des habitants des phares, ceux-ci continuent d’être une métaphore puissante du réconfort et de l’espoir. Plutôt que d’évoquer une époque révolue, où la technologie n’avait pas encore pris le dessus sur l’effort humain, les phares habités se cristallisent comme expression particulièrement importante aux yeux des écrivains de dystopies qui renouvellent son imaginaire pour guider les lecteurs de la fiction à l’action.
Porteur d’une symbolique forte, le phare est un point de repère au sens géographique et psychologique dans les œuvres: il permet aux voyageurs «d’établir leur position et […] les guid[e] jusqu’à leur destination.36»
Dans les dystopies, ce positionnement prend une dimension morale qui s’adresse aux lecteurs encouragés à se rendre compte des problèmes du monde réel. L’utilisation de la lumière du phare peut elle-même être présentée comme problématique. Chez Damasio, les phares projettent leur lumière de manière excessive, de manière à rendre la communication et la compréhension interhumaines ardues. À l’aspect quantitatif des messages lumineux s’ajoute l’aspect qualitatif: les habitants des phares sont des «jeteurs de lumière et de blabla d’ampoule37»,parlant pour ne rien dire. Visuellement, cet excès est représenté sous forme de nuage de mots qui envahissent les pages (voir Fig. 1).
Les bouts de phrase révèlent qu’une catastrophe est imminente38. Le texte gagne en complexité à mesure que les lecteurs affrontent les défis conceptuels et visuels. Ils ressentent le désespoir face au texte qui résiste la lecture. Néanmoins, Damasio s’empare de ces émotions a priori paralysantes pour faire émerger une «énergie du désespoir.39»
Les bribes textuels dans «So phare away» éveillent la curiosité des lecteurs et les incitent au déchiffrage; ils doivent faire un effort pour comprendre le texte, ce qui les met dans une posture favorable à l’action. Ils adoptent de ce fait une posture active favorisant l’émergence de l’ agency. Les codes et énigmes font toutefois ressortir les aspects sombres du monde dysfonctionnel sur lesquels les occupants des phares attirent l’attention. Damasio entrave la lisibilité du texte et décrit des scènes violentes en transformant la connotation positive de la lumière du phare en force négative: par exemple, le Régulateur d’un phare promet d’aider Sofia en échange contre des faveurs sexuelles de son amie: «Sors sur ton balcon et déshabille-toi. Si tu restes nue, éclairée par mon projecteur, pendant cinq minutes entières, je ferai un effort.40»
Dés lors, la lumière du phare porte atteinte à ses fonctions traditionnelles. Cet acte provoque l’indignation et la frustration chez les lecteurs, d’autant plus que le sacrifice de l’amie est vain. Sofia tente de communiquer à Farrago qu’elle est enceinte, mais le message qui lui parvient est «Sofia attend un enfant de Wous» – Wous est le nom du meilleur ami de Farrago. Cette erreur provoque la catastrophe: Farrago détruit son phare et songe vraisemblablement au suicide. Les injustices infligées aux protagonistes font naître l’envie d’intervenir du côté de la réception. Quand bien même le potentiel démotivant et effrayant des écritures dystopiques est évident41, la fiction damasienne agit sur l’état d’esprit des lecteurs. Le mal se transforme en force qui les pousse à agir. Il semble que l’existence même du mal soit la preuve de la possibilité qu’ont les lecteurs d’infléchir l’avenir du monde42. L’ambiguïté concernant le rôle des habitants des phares peut être le moteur d’un changement désirable.
L’exemple du Régulateur, ainsi que le comportement de la majorité des occupants de phares dans la nouvelle de Damasio, montrent que le phare ne prémunit pas les humains contre le vice, et que tous ne peuvent pas servir de modèles de comportement. Autrement dit, le vice peut lui-même loger dans un phare. Par ailleurs, on pourrait aussi reprocher à Thomas de ne pas déployer davantage d’efforts pour retrouver sa famille et de s’informer sur la situation de sa femme qui élève seule leur fils tombé malade plusieurs années auparavant. Ces ambiguïtés s’introduisent dans les oppositions apparemment manichéennes entre les bons et les méchants, entre les occupants de phares et les autres. Elles soulignent dans quelle mesure les dystopies repensent les anciennes responsabilités incombant au gardien du phare. Le retournement qui caractérise les habitants des phares, qu’ils soient vertueux ou vicieux, est alors pris au sens propre. Ils ne projettent pas leur lumière sur la mer, mais sur d’autres personnages ou la terre ferme. Farrago déplore que l’ «on a[it] retourné les phares ; on leur a fait éclairer la ville, au lieu d’illuminer l’horizon.43»
Il appelle de ses vœux le pouvoir d’émettre «un trou noir. Quelque chose comme un cône d’extinction forant au ventre l’épaisseur du jour44», de rester tourné vers les autres. Plutôt que de rediriger la lumière, il désire émettre des messages autrement. Ceux qui se distinguent en s’investissant pour un monde meilleur sont les personnages qui quittent leur phare (Sofia, Farrago) et qui ne l’utilisent pas comme la Gouvernance le prévoit (un gardien de phare dirige sa lumière sur le périphérique pour aider Sofia à le traverser). Les phares n’affirment plus seulement le lien entre les gens de la terre et ceux de la mer, comme l’écrivait encore Léon Berthaut au début du XXe siècle45, mais participent à la valorisation du lien humain, de l’amour et de l’amitié.
Les dystopies de Damasio et d’Aupy proposent des pistes de réflexion sur la symbolique particulière véhiculée par leurs phares fictionnels. Le genre dystopique se voit souvent attribuer une fonction thérapeutique; en tant qu’écriture «révélatrice d’un certain état de la société46»,
la dystopie part du déclin pour «conduire à imaginer des possibilités d’action.47»
Par ce potentiel heuristique, elle se rapproche de l’utopie48. C’est la raison pour laquelle «So phare away» et L’Homme qui n’aimait plus les chats, qui insistent sur les caractéristiques utopiques des aspects sémantiques et formels de la narration49, repensent le phare et du gardien: le premier maintient son rôle d’observateur et de guide tandis que les lecteurs sont encouragés à s’identifier au second afin de conjurer les menaces qui pèsent sur l’humanité. Cette stratégie est mise en œuvre à travers le rapprochement de l’acte de lecture et des tâches incombant au gardien du phare.
Réflexivité entre utopie et dystopie: responsabilités collectives
Les habitants des phares chez Damasio et Aupy mènent une vie en huis clos et ne quittent presque jamais leur « oupiote.50»
Ainsi, quand Thomas décide de conférer au narrateur la responsabilité de gardien, il surprend les lecteurs. Thomas fait passer le bien de tous avant ses propres intérêts51, ce qui met en avant l’urgence de la situation et confirme le rôle de sauveteur du gardien qui élargit ses modalités d’intervention. Quant à Farrago, l’asphalte est liquide lui permet de rendre visite à Sofia en bateau: «C’est si rare dans ma vie, si précieux de prendre l’air en plein visage hors du phare.52»
Croyant que Sofia l’a trompé avec son meilleur ami, il détruit son phare. Sur l’île et sur l’asphalte, le désespoir et la mort attendent les habitants des phares. Cependant, ceux-ci ressentent aussi la menace à l’intérieur des phares dont ils s’éloignent au moment où quelque chose change en leur for intérieur. Alors que l’identification des lecteurs aux habitants des phares est encouragée par l’empathie chez Damasio, Aupy mobilise le rapprochement de la bibliothèque et du phare à travers leur fonction commune d’éclairer, de consoler et de guider. Leur association remonte à l’Antiquité53 où la bibliothèque et le phare d’Alexandrie constituent deux des sept merveilles du monde:
«Le premier phare dans l’histoire de la navigation, où la lumière était concentrée et réfléchie par un miroir concave: si puissant qu’il pourrait apparemment “atteindre les confins du monde”. Mais la lumière de la bibliothèque d’Alexandrie (dans le nouveau bâtiment, la tour est d’ailleurs évoquée dans le cadre de l’inondation de lumière) rayonnait bientôt encore plus loin et devait, en retour, inviter le monde en son sein54.»
Thomas attire les insulaires dans son phare («Il faisait exprès de perdre [au jeu] pour que je revienne55») et tous prennent soin de lui («on l’a fait vieillir notre gardien de phare […] on n’abandonne personne ici.56»)
Avant que Thomas décide pour la première fois depuis des décennies de quitter son poste d’observation, le phare devient tout naturellement le lieu de réunion de ceux qui refusent d’adopter un faux chat fourni par l’administration: «À croire qu’on s’était tous passé le mot57!»
Comme le phare endosse un nouveau rôle, la façon dont les dissidents se réfèrent à lui souligne le changement («C’est plus un phare ici, c’est un moulin58!»)
Suite au réinvestissement du phare comme quartier général des dissidents, son nouveau nom correspond également à une nouvelle dynamique entre ces derniers, qui n’a pas encore de nom59. La métaphore du moulin renvoie à l’activité qui caractérise désormais l’intérieur du phare: c’est un lieu encore plus fréquenté qu’auparavant. La métaphore pointe aussi une un paradoxe apparent: alors que, vu de l’extérieur, peu de choses se passent car tous sont assis, boivent et discutent, elle attire l’attention sur les évolutions passant inaperçues60; la résistance qui commence par une évolution psychologique en fait partie
«Il n’est pas sorti grand-chose de tout ça, le vieux du phare nous a écoutés sans dire quoi que ce soit qui a marqué ma mémoire. […] Mais de nous retrouver dans son salon, tous les cinq, avec les mêmes préoccupations, les mêmes doutes qu’on arrivait à peine à formuler, ça nous a fait du bien.61»
Elle prépare également une réflexion sur le potentiel métaphorique du phare: «Je pense que nous sommes venus pour vos lumières, Thomas, après tout, vous êtes notre gardien de phare. – Eh! Sergei! […] C’est pas ta spécialité d’habitude les métaphores62?»
Progressivement, le narrateur se rend compte du double pouvoir des mots la thérapie et la révolte. La lecture agit comme opérateur de transition entre le passage à l’action dans la fiction et dans le monde réel.
Lorsque Thomas sort du phare, le narrateur prend sa place («garder le phare pour que la lumière reste allumée m’allait bien.63»)
Le texte suggère qu’il n’est pas encore prêt à s’engager dans la révolte parce que la prise de conscience nécessaire n’a pas eu lieu. Elle se fait grâce à la petite bibliothèque du phare: «En attendant le retour du vieux, j’ai regardé notre île. Ce qu’elle était devenue, ce qu’elle pouvait devenir. J’étais dans un phare, c’était, je pense, le meilleur endroit pour trouver un peu de lumière dans ce foutoir. La lumière, elle logeait dans l’ampoule, bien sûr, mais aussi sur les murs.64»
Le narrateur a l’impression que la période difficile qu’il traverse se retrouve dans les livres, malgré son caractère inouï. Il est conscient qu’il s’agit d’un effet de perspective («je crois que je choisissais plus ou moins sans le savoir vraiment65»), mais cette synchronicité le sensibilise à la nécessité d’agir contre les mensonges de l’administration du continent. En cela, la dystopie émerge comme le reflet des angoisses des humains66. Le narrateur comprend également que les actes de lecture et de garde du phare sont intrinsèquement liés: «J’ai veillé tard avec mes bouquins. Après tout, c’est ça un gardien de phare, c’est un veilleur de nuit.67»
Tout en préparant le passage du rôle de gardien de Thomas au narrateur, ce rapprochement du phare et de la bibliothèque met en place une mise en abyme : le narrateur qui lit avant de passer à l’action favorise l’ agency des lecteurs. Ils se reconnaissent d’autant plus dans le narrateur que ce dernier semble se plonger dans des dystopies; cette hypothèse est corroborée par la consolation, l’avertissement et la capacitation résultant de ses lectures, effets qui se recoupent avec les fonctions de la dystopie telle qu’elle est envisagée entre autres par Yannick Rumpala68. De cette manière, la novella d’Aupy suscite un «esprit de réaction69» dynamisant. L’existence même du mal renvoie au pouvoir de changement qu’ont les lecteurs70 de dystopies. En ce sens, la dystopie confère des responsabilités à ses lecteurs. Vu que les occupants des phares ne sont pas complètement isolés, mais intégrés dans un réseau de solidarité et de soutien, la responsabilité est portée collectivement.
Conclusion
Très attentifs aux menaces écologiques, politiques et sociales qui pèsent sur l’humanité, les écrivains de science-fiction ne cessent de mettre en avant la cohérence de leurs activités littéraires avec le temps présent. L’articulation des réflexions éthiques et politiques caractérise la SF et joue un grand rôle dans le recueil damasien qui a pour objectif assumé de porter des valeurs et des messages71. La novella d’Aupy déploie sa dimension activiste en plongeant les lecteurs dans un monde dystopique afin qu’ils s’engagent dans l’action, partant de leur présent sombre pour «“laisser à désirer” des mondes possibles.72»
À l’issue des récits de Damasio et d’Aupy, l’ordre initial n’est pas rétabli: «So phare away» propose une fin ouverte tandis que L’Homme qui n’aimait plus les chats se termine sur une note optimise qui ne cache toutefois pas l’inquiétude. Les deux dystopies font ressortir l’ambiguïté des scènes finales qui a pour effet de stimuler la vigilance des lecteurs et de penser les liens possibles à partir du phare. L’œuvre damasienne est à la fois porteuse d’espoir – dans la mesure où un nuage de mots permet de comprendre que Sofia pourrait éventuellement rejoindre Farrago et rectifier le message erroné73 – et source de détresse, car Farrago fait exploser son phare. Cependant, il crée ainsi une passerelle sur le périphérique («un pont de fortune pour traverser le fleuve automobile74») qui permet aux humains de se rejoindre et d’établir le contact sans polluer le ciel. Farrago utilise son phare d’une manière à la fois destructrice et créatrice. Dans l’excipit de la novella d’Aupy, le narrateur fait une révélation majeure: «Ton grand-père a toujours su rester lui-même. C’était son exemple sans doute qui nous a contaminés. Dommage qu’il n’ait pas pu te voir avant. Depuis le temps qu’il attendait dans son phare.75»
Thomas pourrait donc avoir retrouvé sa famille à son insu, ce qui implique que le métier de gardien du phare est transmis d’une génération à l’autre. De plus, cet excipit constitue une métalepse qui, à travers l’apparente adresse aux lecteurs, pointe la porosité des mondes intradiégétique et extradiégétique. Pour cela, cette figure de style apparaissant fréquemment dans les écritures dystopiques76 déploie une puissance qui saisit les lecteurs; elle contribue donc directement à les empuissanter.
La reprise du phare par le narrateur montre également que ce monument contribue à engendrer l’agentivité à travers le sentiment de responsabilité. En effet, la présence d’un gardien après la départ des continentaux et des chiens envoie un signal fort aux lecteurs: comme il continue de veiller, les insulaires ne sont pas hors de danger; de ce fait, l’humanité doit elle aussi rester vigilante parce qu’un avenir meilleur reste toujours à créer. Dans l’optique de faire advenir un monde plus désirable, ce qui relève du devoir de chacun, la nécessité d’y œuvrer incessamment peut se transformer en action concrète dans le monde réel grâce au gardien du phare. Aux occupants des phares incombe donc le rôle indispensable de maintenir les humains alertes et attentifs. Le mode de vie sur l’île après l’événement affreux correspond en fait à un mode de vie prophylactique capable d’amortir, voire d’éviter une catastrophe similaire.77 Dans les dystopies contemporaines, les phares concourent la réorientation des comportements et la mise en avant de l’action, et leur mobilisation dans la fiction laisse entendre qu’un changement est possible78. Dans cette perspective, la dystopie parvient à servir l’agentivité en «repér[ant] les “signaux faibles” dans le présent pour proposer expériences de pensée et distance critique à ses lecteurs.79»
Ceux-ci adoptent les objectifs des phares et de la science-fiction: scruter les évolutions et offrir l’assistance lorsque le monde complexe met en échec les manichéismes, forçant les humains à naviguer à vue.
Note
- Alain Damasio, So phare away, in Alain Damasio, Aucun souvenir assez solide, Paris, Gallimard, coll. «Folio science-fiction», 2019 [1^ éd. 2007].
- Isabelle Aupy, L’Homme qui n’aimait plus les chats, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 2023 [1^ éd. 2019].
- Ibidem, p. 124.
- Ibidem, p. 97.
- Cette spatialité bipartite est particulièrement saisissante dans les œuvres audiovisuelles : que l’on songe par exemple à Metropolis de Fritz Lang (1927) ou Brazil de Terry Gilliam (1985).
- A. Damasio, So phare away, cit., p. 169.
- Ibidem, p. 178.
- Jean-Michel Calvez, Résilience et renaissance. Les scénarios post-apocalyptiques dans la littérature de science-fiction, in “Prospective et stratégie”, vol. 1, n. 9, 2018, p. 78.
- En effet, conduire une voiture est « inimaginable» et « contraire à l’éthique» (A. Damasio, So phare away, cit., p. 158) pour les occupants du phare, conscients du désastre écologique dont l’humanité elle-même est responsable.
- Ibidem, p. 156.
- Ibidem, p. 159-160.
- Christophe Duret, Habiter les interstices et leurs possibilités: les discours utopiques et méta-utopiques dans Les Furtifs, C@PTCH@ et Hyphe…? d’Alain Damasio, in “Quêtes littéraires” , n. 11, 2021, p. 224.
- A. Damasio, So phare away, cit., p. 55.
- I. Aupy, L’Homme qui n’aimait plus les chats, cit., p. 16.
- Ibidem, p. 29.
- Ibidem, p. 14.
- Ibidem, p. 67. Le narrateur-protagoniste donne aussi l’exemple de Myriam, la boulangère qui passe des heures approximatives, adaptées aux réalités de l’île, à des heures fixes et précises qui relèvent davantage du mode de vie sur le continent.
- Ibidem, p. 41. Le paratexte de l’œuvre d’Aupy mérite d’être mentionné dans ce contexte: l’auteure place deux citations tirées de Fahrenheit 451 et de 1984 en tête; non seulement les références à ces dystopies annonce certaines problématiques aux lecteurs avertis, elles comportent aussi chacune un nombre en relation étroite avec les dérives de l’humanité dénoncées par Bradbury et Orwell.
- «Il n’avait pas de chat, notre gardien de phare. Pas qu’il ne les aimait pas, il s’en foutait, voilà tout. Il ne voulait pas s’en occuper, mais il trouvait bien qu’ils existent. La plupart du temps, il n’en voyait pas la moitié d’une moustache, mais il savait qu’ils étaient là, comme les étoiles dans le ciel. » Ibidem, p. 19.
- Le Blog Gallica, «Contre vents et marées: une petite histoire des phares », consulté le 22 septembre 2024. On lira également la première partie historique de l’ouvrage de Ray Jones, The Lighthouse Encyclopedia: the Definitive Reference, Guilford, Globe Pequot Press, 2013 [1^ éd. 2004].
- A. Damasio, So phare away, cit., p. 200.
- I. Aupy, L’Homme qui n’aimait plus les chats, cit., p. 22. Toutefois, il convient de signaler l’ambiguïté que cette expression peut comporter: si la femme passe sous les rayons, cela peut signifier qu’elle n’est pas illuminée et se déplace donc à l’ombre, ce qui trahirait ses mauvaises intentions.
- Tom Nancollas précise que les phares sont «beautifully designed, but never really seen. As architecture, they are defined by this distance from us and by a unique duality: in daylight a building, at night only a light.» The Guardian, «Storms and solitude: the literature of lighthouses», consulté le 22 septembre 2024. L’auteur fait aussi allusion à cette dualité dans l’introduction de son ouvrage Seashaken Houses: A Lighthouse History from Eddystone to Fastnet, Londres, Particular Books, 2018.
- Ce terme et son équivalent français «agentivité» seront entendus dans le sens de « capacité à faire des choix, prendre des décisions et gérer des situations complexes d’un individu ou d’un groupe qui se rend compte du contrôle qu’il est capable d’exercer.» Cette définition s’inspire notamment des contributions d’Yves Claravon et de Valérie Magdelaine-Andrianjafitrimo qui considèrent l’ agency comme l’accomplissement ou la concrétisation de l’ empowerment («encapacitation»). Yves Clavaron, Agency, empowerment, mimicry ou quelques concepts postcoloniaux à l’épreuve de la littérature, in Emmanuel Bouju, Yolaine Parisot et Charline Pluvinet (dir.), Pouvoir de la littérature. De l’energeia à l’empowerment, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2019, p. 154; Valérie Magdelaine-Andrianjafitrimo, Crime et colère dans quelques romans mauriciens, agency, empowerment féminins ?, in Ibidem, p. 165.
- Sophie Guermès, Introduction, in Sophie Guermès (dir.) Phares en littérature, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2024, p. 8.
- I. Aupy, L’Homme qui n’aimait plus les chats, cit., p. 82.
- Ibidem, p. 92.
- S. Guermès, Introduction, cit., p. 7.
- Marcelo Puppi, L’imagination des phares chez Léonce Reynaud, in “Livraisons de l’histoire de l’architecture”, n. 24, 2012, p. 53.
- S. Guermès, Introduction, cit., p. 7 . Selon Marcelo Puppi, «[i]ls deviennent ainsi des témoins privilégiés du cycle vital de l’univers, ou plutôt, ils favorisent ainsi la prise de conscience de ce cycle, aussi bien chez ses utilisateurs que chez de simples observateurs.» M. Puppi, L’imagination des phares chez Léonce Reynaud, cit., p. 53.
- Voir Vincent Guigueno, Des phares-étoiles aux feux-éclairs. Les paradigmes de la signalisation maritime française au XIX e siècle, in “Réseaux”, vol. 5, n° 109, 2001, p. 110.
- Sofia veut « porter vers le jour les moins lumineux qu’elle. La plupart des membres de sa caste se contentaient de traduire, vite et bien […]. Ils étaient nourris par la Gouvernance en conséquence. Sofia s’était concentrée sur la plus modeste (pour moi la plus cruciale) des missions: celle de passeuse. Celle qui consistait à traduire un message d’un code singulier, parfois unique, dans un langage optique que tout le monde puisse comprendre.» A. Damasio, So phare away, cit., p. 176.
- «Y avait la mer et ses tempêtes qui rythmaient les saisons; y avait le vent qui vous prend au corps, qui vous rappelle que le monde existe, c’est important ça de sentir que le monde existe; et nos chats qui ronronnaient comme la mer et le vent. C’étaient les trois instruments de la musique de notre île.» I. Aupy, L’Homme qui n’aimait plus les chats, cit., p. 20.
- Ibidem, p. 95.
- Ibidem, p. 119.
- Encyclopaedia Universalis, «Phares», consulté le 22 septembre 2024.
- A. Damasio, So phare away, cit., p. 159.
- On parvient à distinguer des mots-clés comme «ATTENTION» en majuscules ou encore «Amplitude exceptionnelle» ce qui, dans le cas d’une «Marée d’asphalte», annonce des dégâts très importants («La Ville risque d’être recouverte à plus de 90%.») Ibidem, p. 155.
- Jean-Paul Engélibert, Fabuler la fin du monde. La puissance critique des fictions d’apocalypse, Paris, La Découverte, coll. «L’horizon des possibles», 2019, p. 56.
- A. Damasio, So phare away, cit., p. 191.
- Voir par exemple Yves Citton et Jacopo Rasmi, Générations collapsonautes. Naviguer par temps d’effondrements, Paris, Seuil, coll. «La Couleur des idées», 2020.
- «Yet, however inescapable this future may be described as, the very existence of such a narrative presupposes that the political community it tries to reach is actually able to do something to thwart it. Oddly enough, a successful dystopia aims at making itself obsolete: once the world it depicts is identified as a possible future, it seems to empower its readers again, restoring a “sense of possibilities” that eventually makes alternative pathways thinkable.». Frédéric Claisse et Pierre Delvenne, Building on anticipation: dystopia as empowerment, in “Current Sociology”, vol. 63, n. 2, 2015, p. 156.
- A. Damasio, So phare away, cit., p. 200.
- Ibidem, p. 161-162.
- Léon Berthaut Histoire et légendes des phares, Gorron, Nos chères provinces, coll. «Aventures et aventuriers», 2023 [1^ éd. 1920].
- Cécile Leconte et Cédric Passard, Avant-propos: Retour vers le futur? La dystopie aujourd’hui, in “Quaderni”, n, 102, 2020-2021, p. 17.
- Ibidem, p. 22.
- Fabula, «Des mondes parfaits», consulté le 22 septembre 2024.
- Ces caractéristiques sont définies par Alain Pagès, Des mondes parfaits aux mondes possibles: les territoires équivoques de l’utopie, in “Quaderni” , n. 41, 2000. Il s’agit des constantes suivantes: l’insularité, l’intemporalité, l’autarcie ainsi que la réglementation ou la planification urbaine.
- Ce terme apparaît aussi bien chez Aupy que chez Damasio chez la première, il fait référence à la construction architecturale; chez le second, c’est le nom d’une enfant vivant dans un phare et chez qui se rend Sofia afin d’informer Farrago de sa grossesse. L’être humain et le phare se trouvent dès lors désignés par le même nom.
- «Le vieux Thomas – qui était moins vieux à ce moment – ne pouvait pas lâcher son phare, mais sa femme ne pouvait pas risquer son gamin [nécessitant l’attention médicale sur le continent]. Elle n’est jamais revenue, même pas par temps clair. J’ai toujours pensé que le vieux ne quittait pas sa tour à cause de ça, comme s’il avait peur qu’elle se pointe juste le jour où il serait sorti acheter un pain.» I. Aupy, L’Homme qui n’aimait plus les chats, cit., p. 42.
- A. Damasio, So phare away, cit., p. 168.
- Encore au XIXe siècle, le directeur du Service des phares et balises Léonce Reynaud décide de mettre à disposition des bibliothèques aux gardiens de phare, comme le rappelle Chantal Reydellet ( La Jaune et la Rouge, «Des bibliothèques dans les phares à la fin du XIXe siècle», consulté le 22 septembre 2024).
- «Das erste Leuchtfeuer der Schiffahrtsgeschichte, wo durch einen Hohlspiegel das Licht gebündelt und reflektiert wurde: So stark, dass es angeblich “bis ans Ende der Welt” reichte. Das Licht der Bibliothek von Alexandria aber (im Neubau wird mit der Lichtdurchflutung übrigens der Turm zitiert) strahlte bald noch weiter aus und sollte umgekehrt die Welt hereinholen.» Der Standard, «Die Bibliothek als Leuchtturm», consulté le 22 septembre 2024. Traduction personnelle.
- I. Aupy, L’Homme qui n’aimait plus les chats, cit., p. 18.
- Ibidem, p. 43.
- Ibidem, p. 50.
- Ibidem, p. 51.
- «[U]n truc se passait là, entre nous. À se chauffer les mains aux tasses en émail, à se chauffer le corps au vieux poêle et le cœur aux autres, oui, il se passait quelque chose. » Ibidem, p. 54.
- Certains mouvements invisibles sont négatifs – par exemple, la lente acceptation des faux chats par certains insulaires –, d’autres laissent entrevoir une amélioration de la situation, comme c’est justement le cas des réunions au phare qui agissent sur les relations interpersonnelles et l’état émotionnel des dissidents.
- I. Aupy, L’Homme qui n’aimait plus les chats, cit., p. 59.
- Ibidem, p. 54.
- Ibidem, p. 99.
- Ibidem, p. 101.
- Ibidem, p. 103.
- Irène Langlet affirme que la dystopie suscite la peur d’un avenir catastrophique ( Le Temps rapaillé. Science-fiction et présentisme, Limoges, PULIM, coll. «Médiatextes», 2020).
- I. Aupy, L’Homme qui n’aimait plus les chats, cit., p. 104.
- En plus de l’article de blog très éclairant de Yannick Rumpala ( Le blog de Yannick Rumpala, ««Sur les fonctions possibles des récits apocalyptiques et dystopiques», consulté le 22 septembre 2024), où Rumpala identifie explicitement plusieurs fonctions de la dystopie (critique, cathartique, d’habituation et de capacitation), on lira aussi ses monographies Cyberpunk’s not dead. Laboratoire d’un futur entre technocapitalisme et post-humanité, Saint-Mammès, Le Bélial, coll. «Parallaxe», 2021, et Hors des décombres du monde. Écologie, science-fiction et éthique du futur, Ceyzérieu, Champ Vallon, coll. «L’environnement a une histoire », 2018. Ses articles Inventer un au-delà du capitalisme par la (science-)fiction? Comment l’imaginaire trouve des lignes de fuite en déconstruisant, in “Cités”, n° 95, 2023, et Que faire face à l’apocalypse ? Sur les représentations et les ressources de la science-fiction devant la fin d’un monde, in “Questions de communication”, n. 30, 2016, sont aussi éclairants.
- C. Leconte et C. Passard, Avant-propos: Retour vers le futur ? La dystopie aujourd’hui, cit., p. 21.
- «Yet, however inescapable this future may be described as, the very existence of such a narrative presupposes that the political community it tries to reach is actually able to do something to thwart it. Oddly enough, a successful dystopia aims at making itself obsolete: once the world it depicts is identified as a possible future, it seems to empower its readers again, restoring a “sense of possibilities” that eventually makes alternative pathways thinkable.» F. Claisse et P. Delvenne, Building on anticipation: dystopia as empowerment, cit., p. 156.
- Le Bû de la Rue, « Rencontre avec Alain Damasio», consulté le 22 septembre 2024.
- Alice Carabédian, “ Utopier le désir!”: entretien avec Alain Damasio, in “Tumultes”, n° 47, 2016, p. 73. Claisse et Delvenne développent l’idée d’un point d’inflexion à partir duquel l’histoire de l’humanité peut prendre une nouvelle direction (F. Claisse et P. Delvenne, Building on anticipation: dystopia as empowerment, cit., p. 159 sqq).
- A. Damasio, So phare away, cit., p. 203. La mention d’une chaloupe volée permet la possibilité que Sofia rencontre Farrago avant qu’il se tue ou soit tué.
- Ibidem, p. 199.
- I. Aupy, L’Homme qui n’aimait plus les chats, cit., p. 124.
- Colloques Fabula, «Vivre en dystopie mais lutter contre. La fiction d’anticipation comme expression militante», consulté le 22 septembre 2024.
- C’est aussi ce que suggère Guillaume de Prémare lorsqu’il écrit: «La collapsologie est une théorie de l’effondrement inéluctable de notre civilisation moderne: un effondrement technique, économique, financier, écologique. Il faudrait s’y préparer en adaptant d’ores et déjà nos modes de vie, en nous habituant à une certaine frugalité, à cultiver la terre, à vivre avec une économie de moyens technologiques.» Aleteia, «Dans l’air du temps, une soif d’apocalypse», consulté le 22 septembre 2024.
- Cette conviction est également développée par F. Claisse et P. Delvenne, Building on anticipation: dystopia as empowerment, cit.
- Fleur Hopkins-Loféron, La science-fiction face à la covid-19, in Claudia Senik (dir.), Pandémies: nos sociétés à l’épreuve, Paris, La Découverte, coll. «Recherches», 2022, p. 194.
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